Ce père de famille ne peut pas faire valoir en Suisse ses études en Somalie. Son dico réunit 10 000 mots pour aider ses compatriotes arrivant ici ou en France. Un article de Mathieu Signorell dans 24 Heures.
Abdulghani Gouré Farah ne passe plus inaperçu dans les longs couloirs du CHUV. Avec ses lunettes rondes et son sourire, ce nettoyeur d’origine somalienne est devenu célèbre depuis que le magazine interne de l’hôpital lui a consacré une page spéciale.
Son destin hors du commun l’a mené à sortir un dictionnaire français-somali. Riche de 10 000 mots, ce dico passe du lammadegaan (désert) au kumbuyuutar (ordinateur). «Il y a aussi certains mots français qu’on ne peut pas traduire en somali, explique l’auteur. J’ai dû les expliquer par des phrases.»
Un dico d’aventurier
«L’aventure est là-dedans», s’exclame un membre du Service juridique du CHUV, grand admirateur de l’auteur et de son dictionnaire. «Je suis fière de vous», lâche une blouse blanche en sortant de l’ascenseur, rencontrant Abdulghani Gouré Farah pour la première fois.
Son ancienne vie, Abdulghani Gouré Farah la passe à Mogadiscio, capitale de la Somalie. Là-bas, il est professeur assistant de français à l’Université nationale, jusqu’à ce que les violences le contraignent à fuir le pays. «Je suis allé en bateau au Kenya, à Nairobi», se souvient-il. Et de là, direction Genève en avion.
Au début des années 2000, il demande à pouvoir enseigner le français en Suisse. Peine perdue: la Conférence des recteurs des universités suisses (CRUS) reconnaît son titre somalien, mais la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) estime que sa formation n’est pas équivalente à celle des professionnels suisses.
Destiné aux compatriotes d’Abdulghani Gouré arrivant en France ou en Suisse, son dictionnaire a pris le temps de mûrir depuis la fin des années 1980. En 1999 déjà, Abdulghani Gouré Farah éditait un premier dictionnaire, inverse, somali-français. Ce qui l’aidera pour obtenir un permis B.
«Aujourd’hui, dès 5 h du matin, je travaille au nettoyage des laboratoires de microbiologie. Ensuite, je suis dans les couloirs avec une laveuse jusqu’à 14 h.» Une partie de son salaire, il l’envoie à sa famille, restée en Afrique. «Là-bas, 240 fr. suffisent pour une famille de cinq personnes pendant un mois.»
Mais ce n’est en tout cas pas pour l’argent qu’il a écrit son dictionnaire: «Avant de gagner quelque chose, je dois en vendre 3000 exemplaires…»
MATHIEU SIGNORELL
Abdulghani Gouré Farah, Dictionnaire français-somali, L’Harmattan, en vente en librairie au prix de 70 fr. Le CHUV distribue cinq exemplaires aux institutions venant en aide aux personnes exilées.
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