vendredi 9 mai 2008

"Je n'aurais pas dû le taper"

Un ado de 15 ans s’est fait agresser par une bande dans un train mercredi de la semaine dernière, en gare d’Yverdon. Un des acteurs de la bastonnade reconnaît son forfait et présente ses excuses. Un article signé Abdoulaye Penda Ndiaye dans 24 Heures.
On s’attendait à avoir en face de nous un sale gosse avec une mine patibulaire. C’est un timide ado­lescent de 14 ans, gringalet, ha­billé aux couleurs de l’Olympi­que de Marseille, qui nous ouvre la porte de l’appartement du sixième étage où il habite. Bruce*, le jeune Yverdonnois qui a frappé avec une bande d’amis un camarade d’école dans un train, il y a dix jours ( 24 heures du 5 mai), passe tout de suite aux aveux.
«J’étais à la Coop de la gare d’Yverdon et des copains m’ont dit que Sébastien* était dans le train. On est allés lui donner une claque et on est descendus du train», raconte, tête baissée, le jeune homme. Aujourd’hui, il affirme regretter son geste: «Je n’aurais pas dû le taper et je lui demande pardon. En plus, mes profs m’avaient déjà conseillé de l’éviter.» Mais pourquoi cette violence? Pourquoi s’attaquer en groupe à une personne seule? Surtout après lui avoir précédemment cassé le nez, à la suite d’une autre bagarre? «A l’école, tout le monde sait que Sébastien et son copain Max* sont des racistes. Il m’a traité à plusieurs reprises de «sale nègre». J’en ai eu marre», murmure Bruce.
Et que dire des observations de l’enseignant qui, dans un rap­port datant de janvier, décrivait Bruce comme un jeune violent suite à une bagarre? «Dès que ce prof a vu son élève en train de saigner, il s’est jeté sur moi, comme s’il voulait m’étrangler», explique-t-il. Et les insultes et menaces proférées contre le maître d’école? «Je lui ai dit que s’il continuait à me brutaliser, il aurait affaire à mon père», pré­cise sur les causes de cette bagarre de janvier au cours de laquelle il a cassé le nez de Sébastien – un collégien de 15 ans –, il affirme avoir cédé à la provocation.
«C’était la fin de la récréation. Son copain et lui se sont mis côte à côte devant moi dans le corridor, exprès pour m’empê­cher de passer. J’ai bousculé son copain, interposé et je lui ai donné un coup au nez.»
«J’en ai perdu l’appétit»

Dans la famille de Bruce, de­puis la publication de l’article de la semaine passée, c’est la consternation. «C’est votre ap­pel qui m’a permis de compren­dre qu’il s’est passé quelque chose à la gare, lance la mère, les yeux embués de larmes. J’en ai perdu l’appétit. Mon fils a fauté en voulant régler le pro­blème lui-même. Je présente mes excuses à Sébastien et à ses parents car je me mets à leur place. Mais ce serait bien aussi que les provocations cessent.»
Une vie bouleversée

Bruce est l’avant-dernier d’une famille de huit enfants. La famille vivait en République dé­mocratique du Congo. Le père de Bruce faisait partie de la garde rapprochée de Mobutu. Quand le régime du dictateur à la toque de léopard est renversé en 1997, il s’enfuit de Kinshasa. La mère est alors enceinte du cadet de la famille. Des fastes du pouvoir et de ses lambris dorés, la famille passe à la pré­carité, obligée de se cacher pour pas subir les foudres des partisans du nouveau régime. ce moment, notre vie a été bouleversée», indique la femme 47 ans. Bruce avait alors ans. Il débarquera en Suisse cinq ans plus tard.
«Avant, mon mari voyageait souvent. Il a ainsi fait de nom­breux séjours en Suisse avec Mobutu. Je n’avais pas besoin de travailler et je m’occupais des enfants. Maintenant, il est aide­ cuisinier et moi aide-infirmière. On n’arrête pas de courir pour pouvoir nourrir la famille.»

Commentaires de Cilette Cretton (directrice pédagogique de l'école obligatoire) et Jean-Christophe Sauterel (porte-parole de la police cantonale)

Cette femme a été agressée par un groupe de collégiens d’Yverdon. Son fils de 13 ans venait d’être battu suite à une rumeur prétendant qu’il avait insulté les musulmans (photo Olivier Allenspach)

Ils en viennent aux mains pour des questions de couleur de peau ou de religion. La connota­tion raciste des agressions sur­venues à Yverdon n’est pourtant pas perçue comme une ten­dance par la police cantonale, qui ne constate pas d’augmenta­tion des cas de violence juvénile liés à des conflits inter-ethniques. «C’est un aspect qui peut intervenir dans certains cas, mais ce n’est pas l’élément principal, estime son porte-parole, Jean-­Christophe Sauterel. Ce n’est pas un phénomène de bandes riva­les ethniques qui s’opposent sur l’ensemble du canton.» Jean-Christophe Sauterel rappelle en revanche que la lutte contre la violence juvénile est une priorité majeure de la police cantonale. Des actions de prévention ont été mises sur pied pour y faire face. La police collabore par exemple avec les préfets dans le cadre du concept «La prévention c’est l’affaire de tous», qui vise à trouver des solutions de conciliation extraju­diciaire entre une commune, des parents et un jeune ayant com­mis des délits mineurs. La police s’implique par ailleurs dans la mise en place de réseaux avec les écoles concernées, les com­munes, la police municipale et les services sociaux pour trouver ensemble des solutions. Elle propose en outre des cours de prévention aux élèves. Le ra­cisme et le respect y sont no­tamment abordés.
Ce problème est par ailleurs considéré comme un sujet important par l’école vaudoise qui propose différentes mesures de prévention. «Nous avons introduit des cours d’éducation à la citoyenneté. Les élèves y abordent la prévention du racisme. L’idée est d’apprendre à se comprendre entre ethnies ou religions et à vivre ensemble», indique Cilette Cretton, direc­trice pédagogique de l’école obligatoire vaudoise. Le racisme est par ailleurs abordé de ma­nière ponctuelle dans d’autres cours ou lorsque des incidents, comme ceux d’Yverdon, donnent lieu à des débats en classe.
Pour autant, la responsable pédagogique ne perçoit pas de multiplication des conflits d’ori­gine ethnique à l’école. «Je ne peux pas dire que c’est plus fréquent aujourd’hui qu’hier. En revanche, on en a davantage conscience. Des cas de racisme que l’on pouvait trouver nor­maux dans le passé ne sont plus tolérés», conclut-elle.

Aucun commentaire: