La rubrique Réflexion de 24 Heures propose un face-à-face sur ce thème entre Claude Rouiller, ancien président du Tribunal fédéral et Yves Nidegger, conseiller national UDC.
"Une proposition dangereuse"
«L’initiative propose de supprimer le droit de recours contre un refus discriminatoire du droit de cité. Ce n’est rien moins que l’institution d’un ghetto juridique» Claude Rouiller
La Confédération ne garantit pas aux étrangers le droit de devenir suisse; leur naturalisation ne peut toutefois être refusée pour des motifs discriminatoires; le candidat évincé a un droit de recours contre un refus qui transgresse cet interdit; l’exercice du droit de recours présuppose la motivation de ce refus; la naturalisation par les urnes n’offre en principe pas cette garantie. Telle est la substance de deux arrêts du Tribunal fédéral qui ont défrayé la chronique en 2003. L’initiative «pour des naturalisations démocratiques» est une «réaction» à ces arrêts.
Ses auteurs disent vouloir renforcer l’autonomie communale. Mais l’application de leur texte contribuerait à l’affaiblir. Reconnue dans une perspective fédéraliste, l’autonomie communale laisse aux cantons le soin de définir la liberté d’action de leurs collectivités décentralisées en fonction des intérêts locaux. L’initiative propose de supprimer cette compétence en matière de naturalisations et d’ôter aux cantons le pouvoir de corriger des incohérences préjudiciables à l’épanouissement de l’autonomie communale.
Optant de la sorte pour ce que le Conseil fédéral appelle une «atomisation du droit», les auteurs de l’initiative ont paradoxalement méconnu le rôle que l’acquisition du droit de cité communal joue dans l’édification de l’Etat central. Leur démarche traduit des conceptions d’un autre âge, où l’agrégation bourgeoisiale se mesurait à l’aune des biens communaux dont elle procurait la jouissance.
L’initiative tendrait ensuite à favoriser l’acquisition de la citoyenneté «au mérite». Mais la naturalisation par les urnes, qu’elle vise à réintroduire, n’est pas adaptée à ce but. Tributaire des passions individuelles et des préjugés de groupe, elle ne prévient ni l’éviction d’un candidat qui a fait un effort optimal d’intégration, ni l’admission d’un candidat qui ne l’a délibérément pas fait.
L’initiative ne veut donc ni renforcer l’autonomie communale ni mieux distribuer le passeport suisse. Ses auteurs poursuivent un objectif moins avouable. Reflet d’une xénophobie désuète, leur initiative est un test – opéré sans risque en vue d’exercices ultérieurs plus substantiels – sur l’ouverture au monde de la population suisse.
Il n’y aurait en soi pas lieu de s’inquiéter du résultat de cette sorte de sondage abusif, si le scrutin n’avait pas d’autre portée. Mais l’initiative propose de supprimer le droit de recours contre un refus discriminatoire du droit de cité. Ce n’est rien moins que l’institution d’un ghetto juridique: les étrangers parfaitement intégrés deviendraient les seuls résidents à ne pouvoir se défendre contre l’injustice la plus intolérable.
Certes, cela ne s’appliquerait qu’à un domaine très spécifique; mais l’histoire apprend que ça commence toujours comme ça! Pour certains, l’octroi du droit de cité échapperait au contrôle des juges parce qu’il est un acte politique. Les agents de l’Etat seraient-ils légitimés à violer les droits fondamentaux les plus éminents sous prétexte qu’ils accomplissent un acte de souveraineté? L’Etat régi par le droit le nie, et la Suisse mérite d’être aimée parce qu’elle est le modèle de cet Etat.
"Les juges peuvent se tromper"
«L’initiative populaire «Pour des naturalisations démocratiques» entend remettre le droit au milieu du village» Yves Nidegger
Les opposants à l’initiative pour des naturalisations démocratiques brandissent le curieux argument de l’infaillibilité des juges face à l’insoutenable légèreté du peuple. Le peuple a-t-il toujours raison? Pas forcément. Les juges non plus. Et il est probable que l’erreur humaine le reste encore longtemps, quelle que soit l’issue du vote le 1er juin. La question n’est pas qui, du peuple ou des tribunaux, serait infaillible, mais, plus modestement, qui possède la compétence de donner à autrui le droit de cité des citoyens d’une commune.
La Constitution fédérale (art.37) fait découler la citoyenneté suisse de la double procession d’un droit de cité communal et du droit de cité d’un canton. La même constitution garantit aux communes leur autonomie. Le pouvoir des juges, dans ce cadre? Celui qu’ils ont toujours exercé, paisiblement, avant que le Tribunal fédéral ne sorte de son rôle avec l’arrêt d’Emmen en 2003.
Personne ne conteste à notre haute cour la compétence qui est la sienne de constater l’arbitraire d’une décision dont l’unique fondement serait, par exemple, l’origine des requérants. Personne ne conteste aux tribunaux leur devoir de casser les décisions tombant sous le coup de l’interdiction de l’arbitraire. Contrairement à ce que soutiennent faussement les opposants à l’initiative, cette dernière n’a d’autre ambition sur ce point que le retour aux rapports qui ont prévalu avec les tribunaux avant 2003.
Ce que les initiants disputent au Tribunal fédéral, en revanche, c’est la faculté qu’il s’est arrogée avec l’arrêt d’Emmen de réécrire la Constitution au détriment des droits politiques des citoyens. Notre haute cour a erré en considérant que le noyau du mal d’Emmen se cacherait dans le vote populaire lui-même, pratique arbitraire, selon les juges, chaque fois que les citoyens doivent se déterminent sur l’octroi à un tiers de leur droit de cité communal.
Tout de même, sauf à vider les mots de leur sens – on ne peut donner que ce que l’on possède – le droit de cité communal appartient aux communes qui ne peuvent se prononcer que de façon définitive, c’est-à-dire sans qu’une autorité supérieure, canton ou juge, ne vienne substituer son opinion à celle de la commune concernée.
Il existe de très nombreuses décisions dans l’ordre juridique suisse que la loi qualifie de définitives, en ceci que leur motivation n’est pas susceptible d’être revue sur recours ordinaire. Leur caractère définitif n’a pour autant l’effet de les soustraire à un examen judiciaire en cassation lorsque sont violées des règles de forme ou que l’arbitraire est manifeste.
Même une décision exclusivement politique, comme une élection, doit être annulée lorsqu’elle est affectée d’un vice. L’autorité judiciaire peut alors la casser, mais jamais elle ne peut lui substituer sa propre opinion. Les électeurs prennent alors souverainement une nouvelle décision, valable à la forme qui peut être semblable ou différente de celle qui a été annulée.
L’initiative populaire «Pour des naturalisations démocratiques» entend remettre le droit au milieu du village. Les citoyens des communes, notre ordre constitutionnel leur en donne le droit, doivent décider librement de la procédure qui leur convient. Il n’y a là rien d’arbitraire.
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