Les éditions Grasset (Paris) publient le dernier roman de l’écrivain suisse qui se frotte ici aux requérants d’asile. Un sujet épineux que nous ramène chaque rendez-vous électoral. Cette publication est un hasard, mais elle tombe à point nommé.
Corinne Desarzens, un peu à la Melgar, le militantisme en moins et l’angélisme en plus. (RDB)
L’immigration. Un sujet épineux que nous ramènent les politiciens à l’occasion de chaque élection. Difficile d’y échapper ces temps-ci, avec le rendez-vous du 23 octobre qui approche à grands pas.
A propos de pas, il y en a qui sont très noirs. Ils écrasent un drapeau rouge frappé de trois mots blancs: «Stopper l’immigration massive!». C’est l’affiche de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) – vous l’aurez reconnue – pour l’actuelle campagne électorale. Bien avant, pour une autre campagne, ladite UDC s’était surpassée. A l’époque, «les murs de la ville s’étaient couverts d’affiches représentant des moutons noirs, puis, quelques mois plus tard, de corneilles qui déchiquetaient de beaux passeports rouges», rappelle Corinne Desarzens dans son nouveau roman Un roi (éditions Grasset).
La «ville» dont il est question ici, c’est Nyon où vit la romancière suisse. Quant au «roi» du titre, il est Noir. Inutile de vous dire son nom: il est un et multiple. Originaire d’Erythrée, il aime néanmoins l’Ethiopie qu’il a traversée, comme le Soudan et la Lybie, avant de débarquer à Lampedusa et de poursuivre son chemin jusqu’au pays de la Croix-Rouge. Là, il attend ce que tous attendent: l’asile politique.
Les bons et les méchants
C’est donc un «requérant». Malheur à Corinne Desarzens ! Elle va aimer ce «roi» qu’elle associe à des «princes trempés dans l’encre» qui marchent «comme s’ils avançaient sur une lame, un pied devant l’autre, souples mais précautionneux, tâtant et anticipant l’obstacle». Elle l’aimera sans se soucier des consignes données: garder ses distances avec les requérants d’asile. C’est ce que recommande le centre d’accueil des migrants à Nyon, où elle travaille comme enseignante bénévole. «Qu’ils apprennent, soit, mais sans créer de liens puisqu’ils ne resteront pas». Un destin scellé d’avance.
«Le traitement à réserver à ces migrants figurait sur n’importe quel programme électoral», écrit Corinne Desarzens dans ce livre qui fait penser à La Forteresse, le film du Suisse Fernand Melgar, avec le militantisme en moins et l’angélisme en plus. Car il faut le dire, il y a chez la romancière un côté manichéen qui place un peu trop les pays d’accueil (Suisse et Europe) dans le camp des méchants, et les accueillis dans le camp des bons.
Il n’en reste pas moins que ce «Roi» est touchant. Non pas tant grâce à cette histoire d’amour que l’écrivain effleure ou détaille (c’est selon) avec passion, mais grâce à un va-et-vient étourdissant entre deux civilisations occidentale et africaine, l’une pauvre en sentiments, l’autre en finances. Le Nord versus le Sud, en somme. Deux points cardinaux auxquels Corinne Desarzens ajoute l’Est et l’Ouest, offrant ainsi à son lecteur quatre gros chapitres en guise de charpente à son roman.
Tout commence donc en Suisse, dans ce centre d’accueil pour réfugiés dont le quotidien est rythmé par les cours de français, entre autres, et par l’attente exténuante d’une réponse aux demandes d’asile.
Une fête des sens
Dans les deux autres tiers du livre, éclatent des couleurs magnifiques et une fête des sens aiguillonnée par la curiosité de l’auteur. Desarzens décide de se rendre en Ethiopie afin de connaître un peu mieux ce pays que le «roi» aime, sans pouvoir y régner.
A partir de cet instant, le roman bascule. On entre alors dans un récit de voyage, digne d’un Nicolas Bouvier, où l’Ethiopie, sa dynastie impériale, ses châteaux, ses églises, ses déserts, ses lacs, ses parcs nationaux, ses zèbres et ses crocodiles, ses ethnies aux coutumes ancestrales, rivalise de richesse avec l’Occident des banques, des cartes magnétiques et de toutes les bricoles technologiques.
Au bout du fil, cette question douloureuse: l’intégration est-elle possible, dans un sens comme dans l’autre? Un Africain peut-il comprendre des Occidentaux qui «découpent les heures sur un cadran» alors que pour lui, coule dans le monde «une énergie mystérieuse qui (…) nous donne la force de mettre le temps en mouvement»?
Et inversement: un Occidental peut-il s’accommoder des habitudes sexuelles des Hamers, une ethnie éthiopienne où l’homme, pour conquérir son épouse, «doit à la pleine lune de septembre, escalader les échines du bétail placé flanc contre flanc»?
D’aucuns trouveraient cet exercice barbare. Mais qu’entend-on par barbarie? se demande Corinne Desarzens. Sa réponse, elle l’emprunte à Montaigne: «Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage».
Ghania Adamo, swissinfo.ch
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