jeudi 20 octobre 2011

La force de l’UDC n’est pas due qu’aux «perdants de la mondialisation»

Une étude lausannoise décrit les tribus très diverses qui composent l’électorat du parti populiste. Et pourfend quelques idées reçues.

Pourquoi le succès de l’UDC et, au-delà, des partis populistes en Europe? La question n’a pas fini d’embarrasser les formations politiques traditionnelles, de droite comme de gauche, et de questionner les chercheurs. Les conclusions auxquelles parvient l’étude de deux politologues* de l’Université de Lausanne, Philippe Gottraux et Cécile Péchu, se démarquent d’une explication qui verrait dans la fragilisation d’un électorat populaire, en raison de la mondialisation économique, le principal ressort d’une progression, pour ce qui est de l’UDC, sans précédent dans toute l’histoire de l’Etat fédéral. A partir, principalement, d’entretiens approfondis avec 40 militants, 20 à Genève et 20 à Zurich, les deux universitaires font apparaître des logiques d’engagement beaucoup plus complexes, diversifiées et surprenantes.

Le Temps: Votre étude contredit la thèse qui voit dans la fragilisation des «perdants de la mondialisation» la cause du succès de l’UDC. Pourquoi n’y souscrivez-vous pas?

Philippe Gottraux: Cette thèse se fonde sur des sondages post-électoraux. Or ces analyses, c’est le grand problème, négligent le phénomène de l’abstention, particulièrement forte dans les catégories populaires. Leurs données ne permettent pas de savoir si réellement des électeurs de gauche basculent vers l’UDC plutôt que vers l’abstention. Plus fondamentalement, la thèse que vous citez – que l’on retrouve, en France, pour expliquer le vote en faveur du Front national – repose sur un modèle qui tend à faire mécaniquement de la situation socioprofessionnelle le seul critère déterminant, à l’exclusion d’autres espaces socialisateurs, du parcours de vie, etc... Elle ne prend pas non plus en compte les effets induits par l’offre politique elle-même et sa capacité à imposer des thèmes. L’offre ne crée pas ex nihilo la demande mais contribue très largement à la formater. Notre démarche met en évidence la rencontre entre une offre politique qui peut être très différente selon les cantons, et des individus aux parcours variés. C’est un schéma beaucoup plus complexe que l’explication par les «perdants de la mondialisation».

– Que montre donc votre étude?

– Nous avons constaté qu’à côté de profils qui sont effectivement fragilisés par l’évolution économique, il existe des «gagnants» de la mondialisation qui se reconnaissent aussi dans les valeurs de l’UDC et contribuent à son succès. Qui plus est, ils ne sont pas toujours ni uniquement attirés par le discours néolibéral de ce parti. Ainsi, la suspicion envers les étrangers est transversale, elle est partagée, avec des nuances dans l’expression, par les six catégories de militants que nous avons distinguées, les «populaires», les déclassés, les jeunes anti-européens, les méritants, les libéraux et les idéologues ou moralistes. Chez les libéraux, la suspicion envers les étrangers est certes plus modérée, mais les positions du parti sur ce thème n’en sont pas moins défendues sans conditions. Ce thème semble donc avoir un effet rassembleur.

– Vous soulignez la très relative stigmatisation dont l’UDC serait l’objet, à vos yeux, dans le discours public. Ce constat peut surprendre, dans la mesure où les médias se voient reprocher de contribuer parfois sans discernement à la diabolisation de ce parti…

– Cette stigmatisation peut varier selon les cantons. Nous avons constaté un effet d’autocontrôle de la parole des militants plus fort à Genève qu’à Zurich, où les propos peuvent être assez extrêmes. Mais je pense qu’en Suisse, l’UDC connaît une forme de banalisation élevée pour des raisons historiques. Le thème de l’«Überfremdung» est ancien et présent au-delà de la droite de la droite. Par ailleurs, l’UDC est un parti gouvernemental depuis longtemps, à la différence, par exemple, du Front national en France.

– Comment les médias sont-ils perçus par les militants que vous avez interrogés?

– Ils se montrent méfiants. Les journalistes sont vus comme des gens de gauche qui critiquent l’UDC en permanence. Cette perception tend à renforcer la cohésion entre des militants souvent assez différents les uns des autres. Nous ne leur avons jamais entendu dire en revanche que les médias, en parlant de l’UDC même en termes critiques, lui auraient rendu service.

– Votre étude permet-elle de tirer des enseignements sur ce que les adversaires de l’UDC devraient faire pour la combattre plus efficacement?

– Je souhaite ne pas quitter mon rôle de scientifique pour endosser celui de prescripteur. Je constate simplement que la force de ce parti est d’offrir un programme «à la carte» qui lui permet de rassembler des militants aux profils très variés.

– Quels sont les résultats de votre enquête qui vont ont le plus surpris?

– Nous ne nous attendions pas à découvrir chez les jeunes anti-européens des attitudes a priori très contradictoires. Ce sont chez eux en effet que nous avons constaté le plus d’ouverture sur des questions de société telles que le «pacs» ou les drogues douces, mais en même temps une conception très conservatrice des rapports entre hommes et femmes. Nous avons été surpris également de constater dans les classes supérieures des militants UDC, en particulier chez les femmes, de faibles compétences politiques, peu d’aptitudes à séparer un discours subjectif et émotionnel d’une appréhension proprement politique. Nous nous sommes aussi rendu compte du poids de la culture de l’effort, le refus que l’Etat ponctionne les revenus des particuliers, qui traverse toutes les catégories de militants, même les «populaires». Il s’agit dans ce dernier cas d’accuser «plus petit que soi», requérants d’asile ou bénéficiaires d’aides sociales, de vivre à leur crochet.¨

Denis Masmejan dans le Temps

 

*Philippe Gottraux et Cécile Péchu: «Militants de l’UDC. La diversité sociale et politique des engagés», 2011, Editions Antipodes, 304 p.

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