L’extrémisme de droite menace la société hongroise. Il occupe de plus en plus le terrain politique et s’immisce désormais sur la scène artistique, suscitant la colère des milieux culturels.
La nomination le 7 octobre à la tête du Nouveau théâtre de Budapest (Uj Szinhaz, en hongrois) de deux personnalités de l’extrême droite a suscité la colère des milieux culturels. La commission avait dans un premier temps décidé de reconduire le directeur sortant, Istvan Marta, mais c’était sans compter l’avis du maire de Budapest, Istvan Tarlos, qui a usé de son droit de veto pour faire passer un tandem controversé: l’acteur György Dörner et le dramaturge et politicien Istvan Csurka.
Contexte délétère
Cette désignation intervient dans un contexte délétère. La première partie de l’année a été marquée par une loi contre la liberté de la presse, que seules les pressions de la communauté européenne ont permis d’amender. Accusé de ne pas faire respecter les droits que garantit pourtant la Constitution européenne, le premier ministre Viktor Orban a préféré reculer pour éviter une confrontation. Ces derniers mois ont vu une recrudescence des violences contre les Roms et la promulgation de nouvelles lois contre la mendicité et le vagabondage. De plus en plus, les extrémistes de droite occupent le terrain politique et ils s’immiscent désormais sur la scène artistique.
György Dörner a longtemps milité au sein du Jobbik, un parti d’extrême droite qui est entré au parlement en mai 2010 avec près de 17% des voix aux législatives. Comédien médiocre, il s’est replié sur le doublage des voix d’acteurs américains connus parmi lesquels Eddie Murphy et Bruce Willis. Ses prises de position contre la dépravation de la scène théâtrale hongroise l’ont assis comme chantre des valeurs nationalistes.
György Dörner a choisi Istvan Csurka comme administrateur. Ce dernier est une figure emblématique de l’extrême droite et dirige le Parti hongrois de la justice et de la vie (MIEP). Il milite en faveur des minorités hongroises séparées de la mère patrie par le traité de Trianon (en 1920) et a fait de ce thème, en tant que dramaturge, le leitmotiv de son théâtre. Ses anathèmes antisémites ont fait sa notoriété.
Dans son dossier de candidature, Istvan Marta, le directeur sortant, a exposé ses priorités et donné sa programmation à venir sur 200 pages: «Je dirige depuis treize ans cette scène, et j’ai réussi à en faire un lieu populaire et, grâce à une gestion scrupuleuse, rentable, c’est un carrefour entre les répertoires magyar et international, entre diverses formes d’art.» De leur côté, Istvan Csurka et György Dörner ont livré leurs propositions politiques dans un pamphlet de 16 pages où le mot «national» revient 34 fois et «magyar» 35. Ils fustigent l’abâtardissement des milieux culturels hongrois et proposent d’en revenir à un art plus proche du cœur campagnard de la Hongrie, «l’arrière-pays». Selon Istvan Marta, au vu des dossiers, il ressort que ce ne sont pas des considérations artistiques qui ont guidé le maire de Budapest dans son choix.
Manifestation et pétition
Des milliers d’écrivains, d’artistes et d’acteurs culturels ont défilé samedi pour dire leur désapprobation et une pétition a circulé pour demander au maire de revoir sa copie. En vain. Istvan Marta s’est rendu chez le maire pour trouver une solution et l’a interrogé sur les raisons de son choix, mais, selon lui, le maire est resté mutique et a refusé de se justifier: «Les rumeurs disent que Viktor Orban est derrière le maire.» D’où qu’elle vienne, cette nomination permet au maire et à son parti, le Fidesz, de flatter les électeurs sensibles aux thèmes nationalistes. D’autre part, elle donne des gages aux partis les plus extrémistes et peut-être même initie un rapprochement opportuniste.
L’extrême droite se félicite de cette nomination. Le Jobbik a pris pour cible les milieux culturels du pays. Il fait pression depuis une année pour que soit révoqué le directeur du Théâtre national de Budapest, Robert Alföldi, dont le mandat court pourtant jusqu’en 2013. Les députés du Jobbik critiquent son manque de patriotisme et, pour railler son homosexualité, l’appellent ouvertement Roberta.
Le responsable de l’Association des communautés juives de Hongrie, Peter Feldmajer, pense qu’une étape a été franchie: «Une passerelle a été jetée entre la droite conservatrice, dont le maire fait partie, et un élément antidémocratique et antisémite, Istvan Csurka.» Tout n’est pas encore perdu pour Istvan Marta. «Le parti LMP a entrepris une démarche légale pour contester la décision du maire. J’espère encore.»
De son côté, György Dörner a annoncé qu’il annulerait les pièces programmées par son prédécesseur. Les spectateurs ne verront peut-être pas la Montagne magique de l’écrivain allemand Thomas Mann, programmée pour la mi-février, en adaptation théâtrale hongroise.
Boris Mabillard dans le Temps
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