Le Conseil d’Etat a calculé que l’interdiction de la mendicité a coûté trois millions de francs sur dix-huit mois. Des chiffres qui interpellent les opposants à cette loi.
Amender les mendiants! En janvier 2008, le Grand Conseil avait modifié la loi pénale genevoise et permis à la police de poursuivre et, le cas échéant, d’amender les mendiants. Une loi s’adressant dans les faits aux Roms, à la suite d’un prétendu afflux de ressortissants roumains appartenant à cette ethnie. En réalité, un problème causé par une communauté nomade dont le chiffre oscille entre cinquante et deux cents personnes.
Plus de trois ans et demi après, l’échec annoncé par les détracteurs de cette législation semble bien se confirmer puisque, malgré un coût pour l’Etat très élevé, les amendes semblent peu dissuasives. En juin, la députée verte Anne Mahrer avait déposé une interpellation urgente écrite pour s’enquérir des coûts engendrés par la répression de la mendicité ainsi que de son efficience.
La réponse du Conseil d’Etat, datée du 31 août et révélée par Léman Bleu, donne des éléments intéressants sur ce dernier élément. A savoir que cette loi a généré des coûts considérables, évalués à plus de 3 millions de francs entre décembre 2009 et juin 2011, alors que les amendes n’ont rapporté que 35 000 francs aux caisses de l’Etat. Ces dépenses se ventilent entre le coût des recommandés, celui des arrestations ou encore les frais engendrés par les procédures judiciaires en cas d’opposition. Pour ces dernières, ce sont ainsi 1,8 million de francs qui ont été dépensés, selon les évaluations du Conseil d’Etat.
Chiffres sous-évalués
Ce chiffre est sous-évalué, rétorque Dina Bazarbachi, présidente de Mesemrom, association de défense de la communauté Rom. Et de relever que cette évaluation ne porte que sur quelque mille amendes contestées. «Or, sur les treize mille contraventions délivrées à des mendiants, j’en ai contesté dix mille», relève-t-elle, «on est donc plus proche des 20 millions si on veut suivre la règle de trois utilisée par le Conseil d’Etat.»
En l’occurrence, relève-t-elle, seuls six cas ont effectivement été traités par la justice. Dans trois cas, les juges ont acquitté les amendés, «tant les libellés de ces amendes étaient fantaisistes», et dans trois autres cas, l’amende a été substantiellement réduite car il convient de tenir compte de la situation de la personne amendée. «Et j’ai bien entendu fait recours dans ces trois dernières affaires.»
«Inutile, inefficace, inique»
Lors du vote du projet de loi, Mathilde Captyn, députée verte, s’était fendue d’un rapport de minorité en pointant l’inutilité de cette législation. Elle estime qu’aujourd’hui, la preuve par l’acte est faite. «On ne règle pas un problème – l’extrême dénuement d’une communauté ostracisée depuis des siècles – par une loi liberticide et électoraliste.»
Du côté du canton, pas question de changer son fusil d’épaule. Laurent Paoliello, porte-parole d’Isabel Rochat, conseillère d’Etat en charge de la police, estime que le rapport qualité-coût est un faux problème. «C’est comme si on disait qu’attraper un assassin coûte cher et ne rapporte rien.» Et d’annoncer qu’en l’état il n’y aura pas de changement de politique en la matière. «Cette loi a été voulue par le législateur, nous nous devons de l’appliquer.» Il invite les députés critiques à proposer un changement de la loi. Ce qui, au vu du rapport de force actuel au Grand Conseil, n’a évidemment aucune chance d’aboutir.
Changement de cap
Du côté des détracteurs de la loi, on estime au contraire qu’un changement de cap s’impose. Dina Bazarbachi juge plus urgent de financer des programmes d’intégration en Roumanie et de garantir un accueil digne de ce nom en Suisse. Par exemple en ouvrant un abri de la protection civile durant toute l’année. Mathilde Captyn prônerait même la mise à disposition d’infrastructures pour les populations nomades.
Mme Bazarbachi espère aussi un progrès pour les Roms une fois que les travailleurs roumains ne seront plus soumis à des quotas à partir de 2013, date d’entrée en vigueur de l’extension des bilatérales. Ainsi, ces dernières années, les vendanges avaient offert du travail temporaire aux Roms. «Maintenant, la police amende les viticulteurs qui emploieraient ces gens car c’est forcément du travail au noir, résultat, on les renvoie sur le trottoir en les obligeant à mendier.» Le même problème se rencontre dans l’économie domestique où la possibilité de faire des ménages est restreinte.
Philippe Bach dans le Courrier
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