Proposer aux jeunes sans-papiers des places d'apprentissage dans son administration, c'est la proposition provocatrice formulée la semaine dernière par la Municipalité de Lausanne. Le canton de Genève étudie le projet du Parti démocrate-chrétien d'un «chèque apprentissage» pour les jeunes clandestins scolarisés. Après le vote négatif en commission de l'économie, la motion devrait logiquement être refusée par le Grand Conseil les 18 et 19 mars prochains. Entre l'initiative frondeuse de Lausanne et l'échec annoncé genevois, les réactions des représentants des partis au Conseil municipal de la Ville de Genève sont (quasi) unanimes sur un point: la démarche lausannoise met le doigt sur un manquement évident de la loi suisse dans le domaine du droit à l'éducation des mineurs.
«Assurer la formation professionnelle est un devoir de la société, une nécessité fondamentale qui ne souffre aucune discussion», assène le libéral Jean-Marc Froidevaux. Si l'on souligne que Genève permet aux jeunes clandestins l'accès aux écoles professionnelles – ce qui n'est pas le cas dans le canton de Vaud –, on n'y déplore pas moins le caractère ambivalent d'une loi qui interdit à ces mêmes jeunes la filière des formations duales.
«C'est une discrimination de fait pour les personnes qui ne peuvent pas s'orienter vers les filières théoriques», selon Maria Casares. La conseillère municipale d'A gauche toute! insiste sur le caractère «hypocrite» du traitement que l'on réserve à ces écoliers sans papiers, «dont le nombre et l'identité sont connus aussi bien de la police que du Conseil d'Etat, mais qu'on choisit sciemment d'oublier après le cycle d'orientation». A Gauche toute! déposera une motion pour la plénière du 22 mars revendiquant précisément des places d'apprentissage pour personnes sans statut légal, répétition d'une proposition similaire de la gauche, refusée en 2009.
Audace plébiscitée
En violation directe de la loi fédérale sur les étrangers, le projet lausannois se veut de même une pression qui «brise l'immobilisme des autorités fédérales», selon son initiateur le municipal socialiste Oscar Tosato. L'initiative porte sur le devant de la scène le débat sur l'intégration des jeunes clandestins, à quelques jours des débats aux Chambres fédérales, où plusieurs motions, émanant de la gauche et de la droite, remettent en question la législation suisse au nom du droit supérieur de la Convention des droits de l'enfant.
Cette initiative «musclée» de la ville de Lausanne inspire plus d'un conseiller municipal genevois. Vingt ans après l'action symbolique du conseiller d'Etat PDC qui accompagna publiquement une fillette clandestine dans sa classe, entérinant ainsi l'accès des sans-papiers à l'école, «on attendrait de la Ville de Genève qu'elle mouille sa chemise, elle qui s'est toujours vantée d'affronter la loi et d'être une ville d'accueil», commente Sarah Klopmann (Les Verts). «L'initiative devrait cependant venir directement de l'exécutif», poursuit-elle, «l'option lausannoise de se mettre en porte-à-faux avec la loi est envisageable à Genève à condition qu'un combat politique soit mené en parallèle, ce qui empêcherait par exemple des fonctionnaires zélés d'intervenir auprès du service de la population.»
L'illégalité pour changer la loi?
L'inscription dans l'illégalité de ce projet de formation s'avère pourtant problématique, tant au niveau constitutionnel qu'éducationnel. L'UDC Jacques Hämmerli, dans le sillage du Département vaudois de l'intérieur, de l'UDC-Lausanne et des organisations patronales vaudoises, rappelle que la notion d'Etat de droit doit rester souveraine et que tout changement de loi doit se faire par les voies institutionnelles.
Jean-Marc Froidevaux rappelle de son côté que l'illégalité ne permet pas une formation sereine, tant du côté des apprentis que de celui des patrons: «La cause est juste, mais une administration ne peut pas donner l'exemple de la clandestinité. D'autant plus qu'après l'apprentissage, la question du permis de travail se reposera.» Le libéral salue l'initiative de Lausanne qui ouvre le débat, mais estime que le changement doit intervenir «par le haut» et que la question mérite d'être posée dans le cadre des Conventions internationales.
Une autre approche - transversale - est envisagée par le socialiste Christian Lopez-Quirland: travailler sur une coordination entre différentes villes pour accroître la pression sur les cantons, «à l'instar de ce qu'avait entrepris Martine Brunschwig-Graf en vue de la légalisation des travailleurs sans papiers». C'est à la collectivité publique de trouver des solutions à une réalité sociale et économique aberrante, selon le socialiste, et c'est le rôle d'un exécutif de gauche de se positionner clairement dans ce débat.
Dans l'entourage de Sandrine Salerno, vice-présidente du Conseil administratif, on juge prématuré de faire des commentaires. La magistrate n'en sera pas moins présente mercredi 3 mars au vernissage de l'exposition «Aucun enfant n'est illégal» (lire ci-contre) en compagnie du conseiller d'Etat Charles Beer et du conseiller administratif Patrice Mugny.
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