Alard du Bois-Reymond, directeur de l’Office fédéral des migrations, ne voit aucun problème au transfert de Nijiati Abudureyimu. Frédéric Hainard renvoie la balle à Berne.
La publication dans nos colonnes du témoignage de Nijiati Abudureyimu, l’ex-policier chinois qui dénonce un trafic d’organes sur les condamnés à mort dans son pays (LT du 28.07.2010), suscite de nombreuses réactions, en particulier dans les milieux associatifs. Un groupe de soutien a été créé sur Facebook: «Non au renvoi de Nijiati Abudureyimu en Italie». La demande d’asile en Suisse de l’ex-policier a été refusée par Berne au titre des accords de Dublin. Le Chinois a été transféré mercredi de la prison de La Chaux-de-Fonds vers Genève en vue d’un renvoi vers l’Italie (où il se dit en danger), son premier pays d’arrivée en Europe.
Le conseiller d’Etat Frédéric Hainard, responsable des questions d’asile à Neuchâtel, canton dans lequel Nijiati Abudureyimu avait été placé par l’Office fédéral des migrations (ODM), explique qu’il est «sensible» à ce cas, mais que seul Berne peut encore intervenir pour stopper le processus de son renvoi. «Si, dans la balance, il y avait le choix entre un renvoi vers l’Italie ou vers la Chine, alors je pense que le choix de l’Italie est adéquat», explique Frédéric Hainard. Pour des raisons humanitaires, le conseiller d’Etat aurait pu différer le renvoi du requérant, pour lequel une décision de non-entrée en matière a été confirmée par le Tribunal administratif fédéral (TAF). Le risque était toutefois que l’ODM confirme son refus et que l’Italie refuse d’accueillir Nijiati Abudureyimu, le délai de son transfert n’ayant pas été respecté. La Suisse aurait alors dû théoriquement le renvoyer vers Pékin.
Alard du Bois-Reymond, directeur de l’ODM, confirme que c’est une possibilité. D’autres requérants d’asile chinois déboutés ont déjà été renvoyés vers leur pays. Chaque cas fait l’objet d’un traitement particulier et les Etats européens doivent respecter le principe de la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel on ne peut refouler une personne en cas de mise en danger. Or Nijiati Abudureyimu affirme détenir des informations très sensibles sur le système secret d’exploitation des organes des condamnés à mort en Chine. Il règne par ailleurs dans sa province d’origine, le Xinjiang, un climat de très forte répression à l’égard de l’ethnie ouïghoure, dont il est issu.
A la lumière d’autres cas de requérants déboutés sur la base des accords de Dublin, Frédéric Hainard déplore la rigidité de l’ODM: «Je suis partisan d’une politique ferme, mais on doit être sûr que la chaîne présente des garanties suffisantes. Avec l’Italie, ce n’est pas le cas.» Le Neuchâtelois a sollicité un entretien avec la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, qui n’a pas donné suite. Il rencontrera bientôt le directeur de l’ODM pour évoquer des situations de mineurs et de familles avec plusieurs enfants particulièrement problématiques.
«Il n’y a pas de problèmes avec l’Italie que je sache», explique Alard du Bois-Reymond, qui estime que Nijiati Abudureyimu n’est pas plus en danger dans ce pays qu’en Suisse. L’ex-policier chinois se dit menacé par des espions de Pékin, en particulier en Italie, et expliquait avant sa détention administrative, mardi, que sa famille restée au Xinjiang était l’objet de menaces régulières.
Mélanie Müller-Rossel, juriste au secteur migration du Centre social protestant (CSP) du canton de Neuchâtel, ne partage pas l’optimisme de l’ODM: «Les autorités fédérales ne tiennent pas compte de la situation en Italie en matière d’accès à une procédure d’asile et un accueil digne de ce nom, malgré les dénonciations de nombreuses ONG. Elles se contentent d’invoquer le fait que l’Italie a signé des conventions internationales. L’ODM applique de façon très carrée les accords de Dublin alors même que ces derniers prévoient une clause de souveraineté qui permet aux Etats de traiter des cas de demandes d’asile même si le requérant est d’abord passé par un pays tiers de la zone Schengen. L’ODM n’y recourt pas alors que c’est son pouvoir discrétionnaire. C’est un système très dur.»
Le CSP de Neuchâtel, qui a brièvement rencontré Nijiati Abudureyimu, lui a transmis des adresses pour une aide juridique en Italie. La juriste craint toutefois que celles-ci soient encore plus surchargées qu’en Suisse vu l’afflux massif de demandes.
Frédéric Koller dans le Temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire