Cet Etat du Far West américain vient d’adopter une loi visant à lutter contre l’immigration qui donne des pouvoirs étendus à la police. Un texte controversé, qui traduit la complexité de la situation sur le terrain. Un article signé Randal C. Archibold et Jennifer Steinhauer dans The New York Times et relayé par le Courrier International.
L’Arizona est habitué à faire l’objet de moqueries aux Etats-Unis. Joe Arpaio, qui s’est fait connaître comme le shérif le plus dur des Etats-Unis, oblige les détenus placés sous sa garde à porter des sous-vêtements roses, une façon de nier leur virilité. Les habitants ont le droit de porter une arme presque en toute circonstance, mais pas celui de couper un cactus. Le reste du pays peut bien se gausser ou grincer des dents, l’Arizona reste l’un des derniers avant-postes du Far West qui ait su conserver son indépendance. L’adoption, le 23 avril 2010, d’une loi anti-immigration permettant aux forces de police d’arrêter toute personne qu’elles suspectent d’être un immigrant clandestin place l’Arizona dans la situation la plus délicate que cet Etat ait connue depuis dix ans. Le texte, qui vient à peine d’être ratifié par la gouverneure républicaine de l’Etat, Jan Brewer, est quasiment assuré de se voir contesté par le ministère de la Justice. Le président Barack Obama, quant à lui, l’a déjà désapprouvé.
Les hispaniques représentent 30 % de la population de l’ÉTAT
Si cet Etat incarne l’intolérance aux yeux de l’Amérique, la réalité est plus contrastée. Certes, son Code pénal prévoit les peines de prison les plus sévères du pays, mais il possède aussi l’une des meilleures lois en matière de financement des campagnes électorales. En 2006, les électeurs ont élu une gouverneure démocrate, Janet Napolitano, tout en envoyant à Washington un sénateur républicain, Jon Kyl. Et, si l’Arizona semble aujourd’hui faire figure de pionnier en termes de loi anti-immigration, la Californie avait déjà suscité la controverse en 1994 en adoptant une loi interdisant aux immigrés clandestins l’accès à divers services publics.
Comme pour la Californie en 1994, plusieurs facteurs expliquent la décision de l’Arizona de durcir le ton. Parmi ceux-ci, la transformation démographique de l’Etat, la crise économique, la multiplication des violences au Mexique ainsi que l’impression que le gouvernement fédéral n’en fait pas assez pour freiner le flot d’immigrants. Ce dernier point énerve d’autant plus les électeurs de l’Arizona que Janet Napolitano a quitté Phoenix pour prendre la direction du ministère de la Sécurité intérieure en 2009.
Les Hispaniques représentent 30 % de la population de l’Arizona, contre environ 25 % en 2000. L’hostilité à l’égard des immigrants illégaux a augmenté avec l’effondrement de l’économie sous le coup de la crise. Les lois comme celle qui vient d’être adoptée contre l’immigration ou celle qui exige de tout candidat à un mandat électif de prouver sa citoyenneté [votée le 22 avril et inspirée par ceux qui, à droite, mettent en doute le fait que Barack Obama soit né aux Etats-Unis et estiment qu’il occupe donc la Maison-Blanche de manière frauduleuse] sont généralement rédigées par des représentants de la droite dure, qui dominent la législature locale. Les députés de la gauche radicale s’opposent à de telles lois, mais aucun des deux camps ne reflète vraiment l’opinion relativement centriste de la plupart des habitants.
Un intense trafic de drogue et d’immigrants à la frontière
Les citoyens de cet Etat regardent avec la même inquiétude la montée de la violence au Mexique et l’intense trafic de drogue et d’immigrants passant par l’Arizona. De nombreuses études montrent pourtant que les immigrés clandestins ne commettent pas plus de délits que le reste de la population et que la criminalité a baissé ces dernières années en Arizona. Mais, dans cet Etat, le moindre délit lié à l’immigration clandestine retient l’attention de l’opinion publique. La moitié des quantités de drogue saisies à la frontière mexicano-américaine le sont en Arizona. En mars, le meurtre de Robert Krentz, 58 ans, membre d’une famille d’éleveurs bien connue, tué sur son ranch à une trentaine de kilomètres de la frontière, a suscité un vif émoi. D’après les policiers, le tireur était probablement impliqué dans le trafic de clandestins. “Les gens qui ne vivent pas ici ne comprennent pas le problème”, explique Mona Stacey, une informaticienne résidant à Mesa. “La plupart des clandestins qui viennent tenter leur chance ici sont issus de familles catholiques honnêtes. Mais il y a aussi les trafiquants de drogue et les passeurs, et on ne sait plus qui est qui.” Ici, les conversations sur la nouvelle loi finissent toujours par faire référence à Janet Napolitano.
En tant que gouverneure, elle a soutenu l’affectation de la garde nationale à la surveillance des frontières, étendu le recours aux forces de police de l’Etat dans les opérations de lutte contre les trafics clandestins et fait pression sur Washington en faveur d’une réforme de l’immigration. Aujourd’hui ministre de la Sécurité intérieure, elle a développé les moyens consacrés à la surveillance des frontières tout en refusant d’y envoyer la garde nationale. Cela aussi fait écho à ce qui s’est passé en Californie en 1994, lorsque la proposition 187 limitant les droits sociaux des immigrés clandestins avait été rejetée par les tribunaux. L’administration Clinton avait alors réagi en lançant l’opération Gatekeeper pour renforcer la surveillance de la frontière en Californie. Cela avait eu pour conséquence de repousser les passeurs à l’est, vers l’Arizona.
Tandis que les manifestants opposés à la loi contre l’immigration multiplient les actions, le shérif Joe Arpaio prépare un nouveau coup de filet contre les immigrés clandestins. “La scène politique de l’Arizona est la plus imprévisible que je connaisse”, déclare Chip Scutari, ancien journaliste politique, qui dirige à présent une agence de relations publiques à Phoenix. “C’est l’Etat du shérif Arpaio et de sa ‘Tent City’ [campement utilisé comme extension de la prison de Maricopa] tout autant que celui du parlementaire de gauche Raul Grijalva, qui appelle aujourd’hui au boycott de son propre Etat. C’est ça, l’Arizona.”
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