Doté d'importants moyens logistiques et humains, l'Ocriest démantèle chaque année plusieurs dizaines de réseaux. Un article signé Cyrille Louis dans le Figaro.
Qu'elle cible des filières chinoises, de discrètes officines spécialisées dans la fabrication de faux papiers ou des passeurs kurdes «pilotés» depuis l'Irak ou la Syrie, la lutte contre les filières d'immigration clandestine est désormais érigée au rang de priorité gouvernementale. «Que les mafias sachent que nous ne les laisserons pas faire», a ainsi prévenu Nicolas Sarkozy après le récent débarquement de 123 clandestins sur une plage corse. «Loin de servir de prétendus intérêts humanitaires, ces structures criminelles génèrent des profits considérables ainsi qu'une violence dont les migrants sont souvent les premières victimes», justifie Jean-Michel Fauvergue, patron de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi des étrangers sans titre (Ocriest).
Chargé de coordonner la lutte contre les filières, ce service placé sous l'autorité de la police aux frontières (PAF) bénéficie depuis sa création d'importants moyens humains et logistiques pour déjouer les multiples précautions dont s'entourent, de plus en plus, les passeurs. «On ne doit jamais perdre de vue que ces réseaux, parce qu'ils convoient une “marchandise intelligente”, peuvent à tout moment changer leurs plans ou se mettre en sommeil pour déjouer notre vigilance», dit le commissaire Fauvergue.
Le plus souvent, c'est sur un simple «tuyau» transmis par les garde-frontières de la PAF, par des partenaires européens, voire par des policiers ou des militaires français en poste à l'étranger que démarrent les enquêtes de l'Ocriest. À grand renfort de surveillances téléphoniques et d'observations à distance, les policiers s'attachent durant plusieurs mois à cerner les contours de la filière. De précieux indicateurs sont parfois recrutés dans la communauté concernée. «Il s'agit d'un travail d'autant plus délicat que certains passeurs acquièrent à la longue les techniques du banditisme, n'hésitant pas à organiser des“contrefiloches” ou à changer sans arrêt de téléphones portables», constate Christian Duc, chef d'état-major à l'Ocriest.
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À défaut de pouvoir aisément infiltrer ces réseaux - «une telle démarche exposerait nos policiers à de trop grands risques», souligne Jean-Michel Fauvergue -, l'office dispose d'un impressionnant arsenal technique pour les surveiller. «Entre les caméras, les balises de géolocalisation et le matériel informatique, notre budget d'investissement est passé de 13000euros en 2006 à 120000euros l'an dernier», précise un responsable de la section d'appui technique. À la veille d'une vague d'interpellations, il arrive ainsi que des enquêteurs grimés en techniciens d'EDF et munis d'une nanocaméra implantée dans une montre ou un stylo se présentent à la porte d'un atelier clandestin afin d'en repérer les diverses issues. De même, de puissants dispositifs de visée nocturne ont par le passé filmé, de longues semaines durant, les aires d'embarquement de Calais ou Cherbourg afin de saisir les allers et venues de clandestins en partance pour Londres.
Au fil des dernières années, l'exploitation des données issues des téléphones mobiles a logiquement pris une place croissante dans les enquêtes de l'office. Pour assurer l'exploitation instantanée des écoutes judiciaires, la police a par ailleurs doté ses nombreux interprètes d'ordinateurs dédiés qui leur permettent de transcrire en temps réel, depuis leur domicile, les conversations des suspects. «Parce qu'ils s'expriment dans leur langue maternelle, certains passeurs se laissent aller à évoquer le nombre de migrants qu'ils ont fait passer ou le produit de ce trafic», raconte un magistrat parisien.
Outre ses cinq groupes opérationnels, focalisés respectivement sur la Chine, l'Asie du Sud, le sous-continent indien, le Moyen-Orient et l'Afrique, l'Ocriest dispose d'une unité d'analyse stratégique spécialisée dans l'étude des flux migratoires irréguliers. Mises en perspective, les informations recueillies par cette structure auprès d'Europol, d'Interpol et de multiples pays étrangers permettent parfois de décoder les logiques à première vue impénétrables des filières. «De plus en plus, on réalise ainsi que l'espace Schengen est perçu comme une vaste aire de trafic au sein de laquelle les réseaux orientent les migrants en fonction des politiques en vigueur dans tel ou tel pays», avance un policier. Au fil du temps, les policiers spécialisés constatent aussi que certaines filières ont appris à «jouer» des différents dispositifs humanitaires mis à la disposition des migrants, n'hésitant pas à leur facturer les nuits passées dans un camp de réfugiés en Europe de l'Est comme les repas servis à Cherbourg par la soupe populaire. Enfin, ils s'alarment de la violence croissante qui, notamment à Calais, oppose désormais nombre de passeurs à leurs concurrents ou aux forces de l'ordre.
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