Emeutes racistes en Calabre : une piste mafieuse à l'étude
La ville renoue lentement avec la vie. Les petits bus pourvoyeurs de journaliers agricoles, les "caporaux", comme on les appelle en Italie, ont repris leur service, au petit matin, pour conduire aux champs les immigrés. Les non-Africains. Dans les conversations, les bars, on ne parle que du coup de filet de la police, mardi 12 janvier, contre le clan local de la Ndrangheta, la mafia calabraise . Le parquet a cru bon de préciser que l'opération n'était pas liée aux violences du 8 janvier contre un groupe de journaliers africains, qui avaient dégénéré en bataille rangée entre immigrés et habitants de Rosarno, faisant une quarantaine de blessés..
L'un des membres de la famille mafieuse qui contrôle la ville a pourtant été arrêté, avec deux habitants de la ville pour avoir participé à "la chasse aux Noirs " . Une enquête a été ouverte. Mais avant de parler de responsabilité directe des clans mafieux, le procureur de la République de Palmi, Giuseppe Greazzo, attend d'en savoir plus.
En revanche, pour les journalistes locaux qui stationnent devant le tribunal, le scénario est clair : les jeunes du clan, par bravade ou pour faire leurs preuves, se seraient "amusés à tirer sur les Noirs", provoquant le soulèvement des immigrés. Obligeant ensuite la Ndrangheta à prendre part à la riposte de la population.
La défense de l'honneur de la ville ? L'explication ne convainc pas don Pino de Masi, curé de Polistena, près de Rosarno, référent de l'association anti-mafia Libera : "La Ndrangheta pense à son statut auprès de la population", reconnaît-il. "Mais sa motivation pourrait être beaucoup plus pratique : le secteur oranger est en crise et l'on est à un pas de demander la reconnaissance de l'état de calamité agricole, ce qui poussera les producteurs à laisser pourrir les fruits sur les arbres. A quoi bon, alors, garder des bras superflus, mieux vaut se débarrasser des journaliers..." Voilà ce qui arrive, conclut le curé, quand on laisse la Mafia gérer les conditions de travail.
Un autre élément va dans ce sens. Rosarno a connu le scandale dit des "oranges de papier" : "les producteurs ont triché sur les chiffres pour empocher les fonds européens avec la complicité de petits fonctionnaires", explique un agriculteur qui veut garder l'anonymat. Depuis un an, le système d'aides est basé désormais sur le nombre d'hectares cultivés et non sur la quantité de fruits cueillis. Et les journaliers deviennent inutiles.
Tout cela alors que Rosarno était devenu un lieu de refuge, en cette période de l'année, pour les immigrés, avec ou sans permis de séjour. Personne ne s'arrêtait à ces détails. Comme pour les tomates dans les Pouilles ou en Campanie, il y avait toujours besoin de bras. Un travail à bas prix bien sûr et non déclaré. En échange, il fallait accepter de vivre sans eau courante, sans électricité ni toilettes et se soumettre aux règles dictées par la Ndrangheta. "Les conditions de vie étaient ce qu'elles étaient, mais un salaire de 20-25 euros par jour avait du bon pour eux. D'autant que nous leur donnions tout : vêtements, nourriture. Et voici comment ils nous ont remerciés", enrage Giuseppe, du comité citoyen de Rosarno, créé pour défendre l'image de la ville.
Ces conditions de vie dégradantes, l'organisation Médecins sans frontière (MSF), présente sur place jusqu'aux émeutes, en parle en connaissance de cause. "Nous avons distribué le nécessaire pour survivre dans ces conditions précaires, mais comme nous l'avions écrit dans un rapport en 2008, intitulé "Une saison en enfer", c'était intenable", rappelle-t-on au bureau romain de l'association.
Laura Boldrini, porte-parole en Italie du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR), était aussi sur place : "Il fallait avant toute chose ramener le calme et faire en sorte que les départs, sur base volontaire, se fassent pacifiquement." Les volontaires des associations locales avaient été chassés, et seuls ceux du HCR se sont interposés dans les cas les plus graves. "Des immigrés s'étaient réfugiés dans un cabanon, encerclé par des Italiens munis de bidons d'essence. Terrorisés, ils ont appelé au secours. Alertés, nous avons pu les sauver de justesse avec la police et les pompiers."
D'autres immigrés ont été confrontés au dilemme de choisir entre leur propre sécurité et leur salaire : "Beaucoup attendaient encore d'être payés, mais la peur a pris le dessus", ajoute Mme Boldrini qui confirme que, parmi ceux obligés de quitter précipitamment Rosarno, beaucoup avaient leurs papiers en règle ou étaient sous protection internationale en tant que réfugiés.
Dans son homélie, don Pino n'a pas mâché pas ses mots. "Nous les avons aidés, mais la charité ne suffit pas. L'Etat a été absent." C'est ce dont parlent aussi les habitants de Rosarno. Pendant vingt ans de cohabitation avec les immigrés, ils ont été laissés seuls, clament-ils. Aujourd'hui les voici taxés de "racisme". Lors d'une marche silencieuse, lundi, ils ont placé en tête de cortège une femme blessée par les immigrés lors des affrontements et aussi des Africains qui vivent depuis des années à Rosarno. Pour montrer qu'il n'y a pas forcément de confrontation. D'ailleurs, dans l'église de la ville, la vierge est noire, elle aussi.
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