mardi 30 juin 2009

Ces familles déchirées par la politique restrictive des visas

OLIVIER CHAVAZ

GenèveTÉMOIGNAGE - Des vacances en Suisse pour voir sa famille? Quand on est ressortissant d'un pays du Sud, mieux vaut ne pas se faire d'illusions.
La déception a fait place à la colère. Pour la deuxième année consécutive, Sandrine Khalil s'est heurtée à l'intransigeance de Berne lorsqu'elle a voulu inviter sa belle-mère et l'une de ses belles-soeurs, de nationalité soudanaise, à passer quelques semaines en Suisse. A l'instar de dizaines de milliers de couples qui ont de la famille dans un pays non-occidental, Sandrine et son époux Mohamed sont victimes de la politique ultrarestrictive en matière de visas. Ecoeurés, ils ont décidé de témoigner pour dénoncer cette injustice. Mariés et établis à Genève depuis treize ans, Sandrine et Mohamed ne pensaient pas devoir affronter ce genre de problème. «En 1998 et en 2000, les deux premières demandes que nous avons faites – déjà pour ma belle-mère, ainsi que pour deux autres soeurs de mon mari – ont été acceptées sans souci. Les démarches ont été assez rapides», se souvient cette assistante sociale.


Non, c'est non!

Mais les choses ont pris une autre tournure l'an passé, quand les Khalil ont voulu faire venir Enas, âgée de 30 ans. Contre toute attente, la représentation helvétique de Khartoum oppose une fin de non-recevoir. Comme la loi l'y autorise, le couple demande alors à l'Office fédéral des migrations de se prononcer formellement. La réponse ne se fait pas attendre: elle est négative.
«L'ordre juridique suisse ne garantit aucun droit quant à l'entrée en Suisse ni quant à l'octroi d'un visa quand bien même le requérant remplirait toutes les conditions», rappelle ainsi l'Office fédéral des migrations (ODM) aux Khalil. La hantise de Berne, ce sont les touristes qui se transformeraient en clandestins une fois leur visa d'entrée expiré.
Aux yeux de l'ODM, le fait qu'Enas n'ait pas d'emploi fixe, ni de «liens familiaux étroits avec son pays d'origine» – elle est célibataire... – pourrait la conduire à prendre racine dans notre pays «dans l'espoir d'y trouver une meilleure situation que celle qu'elle connaît actuellement» au Soudan. Circonstance aggravante, la demande portait sur un séjour de trois mois, une longue durée qui «conforte l'ODM dans son appréciation du cas»...
Echaudés, mais pas résignés, Sandrine et Mohamed réitèrent les démarches l'hiver dernier, en prévision de la naissance de leur premier enfant, annoncée pour en mai 2009. «Agée, ma belle-mère ne peut pas voyager seule. Nous avons donc de nouveau invité Enas, un seul mois cette fois, pour l'accompagner en Suisse. Entre-temps, elle avait décroché un emploi fixe au Soudan comme comptable dans une multinationale. Nous pensions que sa nouvelle situation jouerait en sa faveur», explique Sandrine. Erreur: les autorités suisses mettent une seconde fois leur veto à ce projet de voyage.


Arbitraire

«La loi sur les étrangers est non seulement discriminatoire pour les ressortissants de pays non-occidentaux, mais elle porte aussi atteinte à notre liberté personnelle: on nous empêche d'accueillir temporairement des membres de notre famille», s'énerve Sandrine. En outre, l'arbitraire semble faire figure de règle: l'une des autres soeurs de Mohamed n'avait par exemple pas d'emploi quand elle a obtenu le précieux sésame, délivré qui plus est pour trois mois... «En fait, il y a toujours une bonne raison d'interdire l'entrée et elle change à chaque fois. Pourquoi faire croire aux gens qu'ils ont une chance?»
D'autant que la requête n'est gratuite pour personne. A Khartoum, l'émolument requis – environ 70 francs suisses – représente en gros un mois de salaire et n'est pas remboursé en cas de refus. A Genève, le couple Khalil doit notamment contracter une assurance-maladie, accident et rapatriement (250 francs mensuels par invitée) et garantir, en sus, la somme de 30 000 francs. Et dans les deux pays, les documents et attestations à fournir sont nombreux.
Avec leur fils âgé de dix semaines, Sandrine et Mohamed ont désormais d'autres soucis. Mais cette histoire leur reste en travers de la gorge. «J'ai pris des contacts auprès d'une association pour voir s'il est possible de faire quelque chose», assure la jeune maman. Qui, au-delà, du cas particulier, se dit écoeurée par la xénophobie dont est emprunte la politique suisse des migrations.

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