Par Nicolas Montard • 23 juin, 2009 • Catégorie: DailyUne, Réalités •
La nouvelle est tombée à la fin mai. Le Haut commissariat aux réfugiés (dépendant de l'ONU) et France terre d'asile décidaient de s'implanter à Calais. L'objectif : informer le millier de migrants du littoral de leurs droits, souvent méconnus et jetés en pâture par les passeurs. Depuis trois semaines, les deux organismes ont commencé leur action. Dans le cadre de notre grand format, nous les avons retrouvés à l'heure de la distribution du repas aux migrants.
Un mercredi de fin de printemps. Retour au pays des migrants en début d'après-midi sur le lieu de distribution du repas par l'association La Belle Etoile. A part le soleil, rien n'a vraiment changé depuis notre dernier passage un mois plus tôt (à lire ici). Toujours les bénévoles et leur camion. Toujours les migrants qui peinent à faire les deux files requises. Toujours Patrice, le doyen de La Belle Etoile pour veiller au grain. Seuls les visages des réfugiés évoluent. Car on reconnaît sans peine ceux qui viennent d'arriver. Encore frais et pleins d'espoirs. Et les autres croisés au fil des semaines : regards plus vagues, traits tirés, yeux fiévreux, barbes hirsutes.
« Informer les migrants de leurs droits»
14h et quelques. Une camionnette se gare un peu à l'écart sur ce terrain vague à quelques centaines de mètres du beffroi de Calais. Plusieurs personnes en descendent. Certains avec un chasuble bleu siglé UNHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés). Ou de larges autocollants France terre d'asile. La nouveauté est là : depuis le début du mois, l'agence des Nations Unies et l'association française disposent d'une permanence quelques jours par semaine à Calais. « C'était une décision mûrement réfléchie, expliquent conjointement Radoslaw Ficek, responsable-adjoint chez France terre d'asile et Marie-Noëlle Thirode, détachée du HCR. Notre objectif est d'informer les migrants de leurs droits. Et des démarches qu'ils peuvent faire.»
La distribution de nourriture suit son cours. Les nouveaux arrivants ne perdent pas de temps. Depuis plusieurs jours déjà, ils profitent de ce moment pour tisser des liens avec les réfugiés. Des liasses de photocopies en main, ils se dirigent vers les différents groupes. Quand ce ne sont pas les migrants qui viennent à eux. « Ils commencent à nous connaître, à savoir qui nous sommes, qui nous représentons, nous confirme-t-on. Et certains commencent à se poser des questions…» A savoir : est-ce que l'Angleterre, but ultime de leur voyage, est finalement une si bonne solution que ça ? Est-ce que certains d'entre eux n'auraient pas intérêt à demander l'aide de la France ? Ou à rentrer chez eux, en témoigne la question de ce Pakistanais à Marie-Noëlle Thirode : « Existe-t-il une aide au retour ?»
Les mineurs sous la pression familiale
Jean-François, l'un des membres de l'équipe, s'installe par terre en compagnie de deux migrants en train de manger leurs pâtes. Très vite, naturellement, la conversation s'engage en anglais. D'autres Afghans s'en mêlent. Le jeune homme donne les photocopies. Quelques informations sur les droits des réfugiés. L'un d'entre eux hoche la tête, apparemment convaincu par le discours de Jean-François. Car ce que ne savent souvent pas les migrants, c'est que nombre d'entre eux peuvent demander une protection. Eu égard à leur nationalité, Afghans, Erythréens ou Soudanais par exemple. « Si on peut prouver que le réfugié est en danger dans son pays, les conventions internationales doivent s'appliquer sur son cas, résume Radoslaw Ficek. Seulement, peu le savent : les réseaux de passeurs ont bien sûr tout intérêt à discréditer notre action et à désinformer.»
On se glisse derrière l'interprète du groupe. Le voilà qui discute avec un groupe de trois hommes. A priori soucieux : « Il faut le reconnaître : leur première inquiétude, c'est la question des empreintes digitales. Là, il y a un complet manque d'informations.» Inquiétude légitime des migrants : avec Dublin 2, une convention qui détermine les compétences européennes en terme d'asile, si les migrants ont laissé leurs empreintes dans un pays d'Europe avant d'arriver en Angleterre et qu'ils se font prendre de l'autre côté de la Manche, ils seront renvoyés dans ce pays d'origine. A savoir le plus souvent, les portes d'entrées sur l'Europe, l'Italie, peu amène à l'égard des réfugiés, ou la Grèce, un problème plus important selon Radoslaw Ficek et Marie-Noëlle Thirode : « C'est le pays qui nous préoccupe le plus. Il ne respecte pas les mesures internationales. Pour vous dire, il y a deux ans, moins d'1% des demandes d'asiles étaient acceptées là-bas. Aujourd'hui, on a dépassé les 1%… Les réfugiés ont 30 fois plus de chance d'obtenir cet asile en France. Alors qu'ici, ce n'est pourtant pas facile…» Encore plus quand ils sont mineurs, une part de plus en plus importante de la population des migrants : » Le problème avec les mineurs, c'est qu'ils ne prennent pas la décision seuls. Souvent, les familles sont au pays et veulent qu'ils passent en Angleterre.»
« Je veux aller en Angleterre. Je réussirai.»
Une tape sur notre épaule : Youssaf, un Afghan que nous avions déjà rencontré. « Ça va ? Tu as pu nous faire les photos ?« , nous demande-t-il. On sort le paquet de photos prises lors de notre dernier reportage. Immédiatemment, un petit attroupement. Chacun récupère la sienne, celles des amis ou compagnons d'infortune, au choix. Avant de se réjouir sur l'une d'entre elles : « Lui, tu t'en souviens ? Je crois qu'il a réussi à passer, nous n'avons plus de nouvelles.» Content pour lui ? « Bien sûr ! Bientôt, c'est mon tour.» Car pour lui, pour le moment, HCR, France terre d'asile ou pas, son but, c'est l'autre côté de la Manche et rien d'autre : « Je veux aller en Angleterre. Je réussirai.»
La distribution de nourriture est finie. Les migrants s'éparpillent très vite. Rentrant dans leurs squats ou campements en attendant les passages de la soirée. En reste quelques-uns, au bout de ce terrain vague. Assis autour d'un membre de France terre d'asile. Quelques dernières informations pendant que les responsables essaient de régler la situation d'un Afghan muni d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. « On va s'en occuper. On va passer un coup de fil à un relais sur place pour qu'il prenne en charge son cas.» Pour le moment, le HCR et France terre d'asile doivent se rendre dans la « jungle» principale. Leur premier contact là-bas, au pays des Afghans. Certainement pas le dernier…
Retrouvez les précédents reportages de ce grand format :- Au pays des migrants (1) : les étoiles du midi - Au pays des migrants (2) : les femmes et les enfants dehors - Au pays des migrants (3) : la "jungle", en attendant - Au pays des migrants (4) : une vie dans un sac poubelle - Au pays des migrants (5) : Norrent-Fontes, base arrière vers l'Angleterre
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