samedi 17 janvier 2009

Mendiants traqués: mal joué


Le magistrat Laurent Moutinot médiatise une opération policière et se met une partie de la classe politique genevoise à dos. Il tente de justifier l'initiative

Fabiano Citroni - le 16 janvier 2009, 21h50
Le Matin


C'est ce qui s'appelle un coup raté. Jeudi, le patron politique de la police genevoise, Laurent Moutinot (soc.), décidait de médiatiser une action des forces de l'ordre visant à traquer les mendiants, des Roms de Roumanie. Mais cette opération menée à trois semaines de la votation sur l'extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie suscite l'incompréhension d'une partie de la classe politique. Le problème résumé en trois points.

Amalgame
«L'UDC prétend qu'il y aura une invasion des Roms en cas de oui le 8 février. Or les mendiants roms n'ont rien à voir dans la campagne puisque les Roumains souhaitant s'établir dans notre pays devront être au bénéfice d'un contrat de travail. Avec son opération, Laurent Moutinot laisse entendre qu'il y a un lien entre les deux. Quelle erreur», estime le conseiller national Antonio Hodgers (Verts/GE).

Son collègue libéral Christian Luscher se veut positif: «Si certains font un amalgame entre l'extension à la Roumanie et un afflux de mendiants, il faut leur dire que la question des Roms n'entre pas dans la campagne des bilatérales. La mendicité est interdite à Genève et le restera quel que soit le résultat de la votation.»

Chiffres pas bons
Jeudi, la police a contrôlé 27 mendiants. Et constaté qu'ils étaient démunis de moyens d'existence au sens de la loi sur les étrangers. «Ils ne peuvent donc pas rester en Suisse», explique le porte-parole de la police, Patrick Pulh. Le Conseil d'Etat leur a donc mis un car à disposition pour les ramener en Roumanie. Seuls sept mendiants ont utilisé ce moyen de transport. Les autres ont décidé de rentrer par leurs propres moyens. L'ont-ils vraiment fait? Impossible de le savoir. «Le Conseil d'Etat voulait montrer qu'il est capable d'appliquer la loi et de stopper les abus. Il a donc mobilisé trente gendarmes qui n'ont arrêté que 27 mendiants sur quelque 400. Et sur ces 27, 7 seulement ont quitté le pays. Le gouvernement a raté son coup», estime le conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE).

Propagande
«On me reproche souvent de ne pas dire ce que je fais, explique Laurent Moutinot. J'ai donc voulu montrer que la police applique la loi sur la mendicité. Il est aussi vrai que j'ai subi des pressions des partisans du oui à l'extension de la libre circulation. Pour eux, sanctionner les mendiants et limiter leur nombre est le moyen de faire tomber l'argument des partisans du non, qui affirment qu'il y aura un afflux de mendiants.»

Antonio Hodgers ne peut tolérer ces propos. «Il est scandaleux d'utiliser d'une manière ou d'une autre la police dans le cadre d'une votation. Sur le principe, ça me dérange.» Réponse de Laurent Moutinot: «Je dois avant tout faire appliquer la loi interdisant la mendicité. Si je ne dis pas ce que je fais, on me reproche d'attiser la xénophobie. Et si je le dis, on me reproche de créer des amalgames. La médiatisation de notre opération aura peut-être des effets pervers, mais il n'y a pas de solution miracle.»

   PROPOS RECUEILLIS PAR FABIO LO VERSO    

GenèveMENDICITÉ - En refoulant vingt-six Roms, le conseiller d'Etat Laurent Moutinot saute de façon spectaculaire dans la campagne en vue du vote du 8 février prochain. 
Longtemps, Laurent Moutinot a combattu l'introduction d'une loi sur la mendicité. Hostile à la pénalisation de ceux qui «tendent la main», le conseiller d'Etat a autorisé, jeudi dernier, une vaste rafle visant à renvoyer les ressortissants roumains faisant la manche. Vingt-six personnes et un bébé ont été refoulés[1]. Avec ces expulsions, le socialiste déboule avec fracas dans la campagne sur la libre circulation. Entretien. 

Vous qualifiez d'«inutile» l'interdiction de la mendicité. Pourquoi l'utilisez-vous avec autant de zèle? 
Je me suis opposé à cette loi dans un élan, hélas, plutôt solitaire. J'étais convaincu qu'elle n'aurait pas d'effet dissuasif, je ne me suis pas trompé. Les Roms ne fuient pas Genève. Ils restent, même si on vide leur gobelet. Mais je tiens à préciser que, au niveau des principes, je suis toujours choqué qu'on doive punir la mendicité. Comme le montrent les renvois de jeudi, avec la loi sur les étrangers, on détient un instrument pour agir contre les mendiants en situation irrégulière. Il n'y a pas besoin d'en faire des délinquants. 


Vous affirmez que les renvois ont été décidés en fonction du vote sur la libre circulation. La traque des Roms est-elle un argument de campagne? 
Ce que j'ai affirmé sur les ondes de la Radio suisse romande (RSR) ne doit pas être compris de cette façon. J'ai simplement décidé de donner de la publicité au travail de la police au sujet des mendiants roms, en invitant la RSR et la Tribune de Genève à suivre l'action sur le terrain. C'est cet écho médiatique qui a été recherché en fonction du vote du 8 février. On n'a pas chassé les vingt-six Roms en vue de cette échéance. On a en réalité tenu à montrer ce que régulièrement les policiers font dans la plus grande discrétion. Plus de deux mille vérifications ont été effectuées en un peu plus d'un an. Je voulais faire la démonstration qu'on s'occupe du sujet. 


Cette médiatisation a-t-elle été orchestrée à des fins de propagande policière? 
On m'a souvent reproché de ne rien faire pour satisfaire l'interdiction légale de la mendicité. A entendre mes détracteurs, à cause de cette prétendue passivité, je serais responsable de l'amalgame que certains osent faire entre les mendiants roms, la Roumanie et la libre circulation. Il est vrai que la publicité donnée à l'action policière constitue une réponse à mes accusateurs. Mais ces derniers ne représentent pas ma cible principale. Je voulais surtout montrer que la libre circulation n'a aucun impact sur la problématique des mendiants. Après le vote du 8 février, il n'y aura pas plus de mendiants qu'aujourd'hui. 


Quelle signification donnez-vous au concept hybride de renvois volontaires? 
Il est vrai que ce concept est hybride. Mais il faut l'entendre comme une incitation à quitter spontanément le territoire. Or une telle incitation doit à mon sens être suivie d'un geste de la part des autorités. C'est pourquoi nous avons affrété un autobus pour faciliter le départ des Roms. 'Volontaires' veut également dire que personne n'a été menotté ou forcé à monter dans le bus. Un choix que seulement une partie des ressortissants roumains ont d'ailleurs décidé de faire. 'Renvois volontaires' n'est de loin pas la formule que j'affectionne le plus, mais elle a une signification, même si elle n'apparaît pas de prime abord. 


Des renvois volontaires devraient idéalement être assortis d'un délai, même très court, de quelques jours à peine. Pourquoi les policiers ne l'ont-ils pas respecté? 
L'action des agents de police a peut-être été 'très incitative'. Mais les Roms ont été informés de manière complète des choix qui se présentaient à eux, et des conséquences liées à ces choix. Certains d'entre eux ont préféré prendre une décision rapidement, sans attendre. Ils ont alors opté pour le bus à destination de la Roumanie. D'autres ont réfléchi avant de rentrer par leur propres moyens. 


A l'égard des amendes et des gobelets vidés, les vingt-six renvois exécutés jeudi auront-ils un effet plus dissuasif? 
On verra d'ici à quelques semaines. I 
Note : [1]Le Courrier du 16 janvier 2009.



article

«LA MAJORITÉ DES REFOULÉS ONT REJOINT LA FRANCE»

   fabio lo verso    

Sur les vingt-six Roms renvoyés, seuls sept sont montés jeudi soir dans l'autobus spécial affrété pour la Roumanie. Un couple avec un bébé a été escorté vers la frontière de Bardonnex, alors que les dix-sept autres prévenus ont décidé durant la nuit de quitter la Suisse par leurs propres moyens. «Leur intention a été suivie d'effet. Selon nos informations, ils ont rejoint le territoire français», assure Patrick Puhl, porte-parole de la police genevoise. 
Quatre fourgons et une trentaine de policiers ont été mis à pied d'oeuvre pour sillonner les rues de la ville. L'imposante rafle effectuée jeudi dernier a été décidée en relation avec l'interdiction genevoise de la mendicité. Mais les renvois se sont appuyés sur la loi fédérale sur les étrangers, «dans la mesure où les ressortissants roumains étaient dépourvus de moyens d'existence», précise M.Puhl. Ils ont également été «déclarés en contravention à plusieurs reprises», rappelle un lieutenant dans la Tribune de Genève. 
Le porte-parole de la police affirme que l'Office fédéral des migrations (ODM) a été informé de l'opération visant à renvoyer ces ressortissants dans leur pays. Contrevenant à la législation nationale, les vingt-six Roms étaient acculés au départ: «S'ils avaient refusé de quitter le territoire, ils auraient été interpellés, retenus à l'hôtel de police, et rapidement fait l'objet d'un rapatriement forcé», précise-t-il. Techniquement, ces mendiants ont subi une «mesure d'éloignement»

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