jeudi 24 avril 2008

Qu'en dirait Rousseau ?

romain felli

Romain Felli, politologue

Il existe de nombreuses raisons de rejeter l’initiative populaire intitulée «Pour des naturalisations démocratiques» sur laquelle nous nous prononcerons le 1er juin prochain. Rappelons que cette initiative vise à permettre aux communes de procéder à des votations afin d’attribuer ou non la bourgeoisie communale, étape nécessaire de l’acquisition de la citoyenneté suisse. Mais j’aimerais discuter ici un point seulement: faire voter le peuple sur une demande de naturalisation, est-ce vraiment démocratique? Les initiants se gargarisent de «démocratie», mais le vote est-il toujours une procédure démocratique?

Pour traiter cette question, je propose de faire appel à une autorité incontestable en matière de démocratie directe: Jean-Jacques Rousseau. Dans son ouvrage paru en 1762, Du Contrat social, le grand philosophe propose une défense ferme de la souveraineté populaire. Pour Rousseau, le peuple doit être seul souverain, c’est-à-dire seule source des lois; il refuse à cet égard toute idée de représentation. Cela ne signifie pas néanmoins, comme on le croit souvent, qu’il refuse tout organe qui concentrerait un pouvoir quelconque, en dehors du peuple rassemblé. En fait, Rousseau distingue très clairement le souverain du magistrat.

Le principe fondamental dans la théorie démocratique de Rousseau est que seul le souverain – le peuple – peut faire les lois, qui sont des principes généraux; le magistrat – le gouvernement – ne faisant que les appliquer à des cas particuliers. La contrepartie nécessaire de cet arrangement est que le peuple, en tant que souverain, ne peut pas se charger de faire appliquer la loi ni de traiter les cas particuliers. D’après Rousseau, «il n’est pas bon que celui qui fait des lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers» (livre III, chap. IV).

Dans le cas qui nous occupe, ce qui est démocratique, c’est que le peuple puisse faire des lois qui définissent les critères d’attribution de la nationalité. Par contre, une fois ces lois faites, le peuple disparaît en tant que souverain et laisse le magistrat déterminer si un cas particulier (par exemple une demande de naturalisation) entre ou non dans le cadre de la loi. Cet acte du magistrat est un acte administratif, il peut donc être contesté sous la forme d’un recours, car le magistrat a pu ne pas appliquer correctement la loi.

La distinction entre le souverain et le magistrat est nécessaire à la démocratie. Elle l’empêche de sombrer dans la tyrannie car, comme le disait Montesquieu, lorsque la puissance législative et la puissance exécutive sont réunies dans un même corps, il n’y a plus de liberté: on peut craindre que le même corps ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement. S’opposer à l’initiative «pour des naturalisations démocratiques», c’est donc refuser l’abus du mot «démocratie» et c’est défendre une conception plus authentique de la démocratie.

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