lundi 30 octobre 2006

A cet article 261 bis

Lire l'opinion d'Edmond Aubert dans 24 heures

Depuis longtemps, la perspective de voir M. Blocher réélu en 2007, puis de le voir plus tard prési­dent de la Confédération (avec tout le poids symbolique, aussi bien à l’extérieur qu’à l’inté­rieur du pays, qu’implique une telle charge) n’enchante guère la plupart des Suisses. Et son récent dérapage n’a rien ar­rangé.
Selon la presse, M. Blocher aurait déclaré que l’article 261 bis de notre Code pénal lui faisait «mal au ventre». Il est indéniable que M. Blocher a très mal choisi le moment et l’endroit pour prononcer un tel aveu. Mais, quel que soit le peu de sympathie qu’inspire le per­sonnage, on ne peut lui donner tort sur le fond.
L’article 261 bis a été accepté par le peuple en septembre 1994 malgré les réserves de beaucoup d’es­prits libéraux (le Parti libéral vaudois, préci­sément, avait recommandé son rejet). Rappe­lons que, dans son principe, il permet de punir ceux qui inci­tent à la haine ou à la discrimi­nation raciale. Ce serait très bien s’il ne contenait pas aussi des dispositions créant une vé­ritable justice d’exception et de vrais délits d’opinion. Plutôt que d’analyser ces dispositions, illustrons par un exemple ce que certains tribunaux en ont fait.
Au printemps, 1996, l’ouvrage de Roger Garaudy intitulé Les mythes fondateurs de la politi­que israélienne était saisi en pleine librairie et le libraire in­culpé.
Il n’est pas utile de se remé­morer qui était Roger Garaudy. D’abord communiste, il se lais­sera gagner ensuite par une passion aussi généreuse que quasi obsessionnelle: celle du dialogue. Dialogue entre les philosophies, les religions, les cultures, les civilisations.
Dans l’ouvrage incriminé, Garaudy, avec le soutien de l’abbé Pierre, s’est peut-être laissé entraîner à des positions extrêmes. Il y considère que les souffrances que le nazisme a infligées aux juifs ont été suffi­samment atroces pour qu’on n’en rajoute pas, que vain­queurs et victimes de ce régime odieux en ont fait un usage calculé et condamnable, qu’une lutte contre le «sionisme» poli­tique est inséparable d’une vraie lutte contre l’antisémi­tisme, qu’il ne s’agit nullement d’envisager la destruction de l’Etat d’Israël, mais sa désacra­lisation.
C’en était trop pour certaines ligues bien-pensantes, qui ob­tinrent le procès auquel il a été fait allusion.
C’est le même esprit d’Inqui­sition qui vient de triompher à l’Assemblée nationale française à propos du «génocide armé­nien ». Il ne s’agit plus de laisser les historiens faire honnête­ment leur travail. Il s’agit de décréter une Vérité d’Etat, Vé­rité quasi coranique, pour la­quelle toute contestation en­traînera désormais des poursui­tes judiciaires. Que cette Vérité d’Etat corresponde à la réalité, cela ne nous semble faire l’objet d’aucun doute. Qu’on le qualifie ou non de «génocide», ilyabel et bien un massacre collectif des Arméniens chrétiens, consi­dérés comme alliés des Russes, lors du conflit entre l’Empire ottoman et l’Empire tsariste du­rant la Première Guerre mon­diale de 1914 à 1918. Et, bien entendu, ces événements abo­minables ont laissé dans le coeur des Arméniens qui ont échappé à ce massacre, des blessures qui ne pourront ja­mais être cicatrisées.
Mais cela n’empêche pas que la récente décision de l’Assem­blée nationale française, aussi bien que la présence dans notre Code pénal, de l’article 261 bis et d’une partie de son contenu, soient détestables.
Et quand M. Blocher compa­raîtra (comme nous tous) de­vant le Grand Trône blanc dé­crit par l’Apocalypse, son mal de ventre à propos de l’arti­cle 261 bis de notre Code pénal ne pourra que lui être imputé à décharge par le Juge suprême de l’Univers.

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