L’ouverture des frontières aux travailleurs n’a pas fait que des heureux. Le PS dénonce une répartition inégale des fruits de la croissance, alors que l’UDC s’en prend à la poussée migratoire.
Un consensus minimal a permis à la libre circulation avec l’Union européenne (UE) d’effectuer jusqu’ici un parcours sans faute dans les urnes suisses. Soutenue par un large front incluant les patrons et les syndicats, la droite libérale et la gauche, l’ouverture des frontières aux travailleurs a été étendue par deux fois à de nouveaux pays membres. Mais après neuf ans d’existence, elle voit les nuages s’amonceler à l’horizon.
La libre circulation est menacée par deux initiatives populaires. La dernière en date, lancée par l’UDC, prévoit un plafonnement annuel de l’arrivée d’étrangers. Le parti avait pourtant renoncé à saisir le référendum contre la libre circulation et son extension, ce qui fait dire à certains qu’il cherche avant tout à se profiler pour les élections fédérales du 23 octobre.
«Surpopulation»
L’association Ecologie et population (Ecopop) invoque quant à elle la préservation des ressources naturelles pour réclamer une limitation de la croissance démographique à 0,2% par année. La libre circulation est visée au premier chef, dès lors que plus de la moitié de l’immigration actuelle provient de l’UE.
De leur côté, la gauche et les syndicats ne réclament pas la tête de la libre circulation. Mais la colère monte face à la sous-enchère salariale. En mai dernier, le Secrétariat fédéral à l’économie (Seco) a publié un rapport éloquent: 41% des employeurs suisses contrôlés en 2010 ne respectaient pas les minima salariaux fixés dans une convention collective de travail (CCT), contre 30% en 2009. C’était aussi le cas de 38% des entreprises étrangères détachant des travailleurs en Suisse (21% en 2009). «Dans d’autres domaines, avec de tels taux d’infraction, on appellerait déjà l’armée à la rescousse», grince le président du Parti socialiste suisse et ancien syndicaliste Christian Levrat.
Responsable de la politique économique à la faîtière syndicale Travail.Suisse, Susanne Blank est inquiète. «Jusqu’à présent, les secrétaires syndicaux ont soutenu la libre circulation et essayé de convaincre leur base. Depuis la publication de ces chiffres, ils deviennent sceptiques». D’où l’urgence de muscler les mesures d’accompagnement, qui étaient une condition préalable du soutien syndical à la libre circulation.
A défaut, le peuple risque de s’engouffrer dans l’«impasse» proposée par l’UDC: «Il n’y aura plus de mesures d’accompagnement, mais il y aura toujours de l’immigration, car la Suisse ne peut pas vivre sans main-d’œuvre étrangère», prévient Susanne Blank. Pour Aldo Ferrari, membre du comité directeur du syndicat UNIA, «l’UDC cherche à sélectionner la main-d’œuvre pour ne faire venir que les sous-payés ou les très qualifiés».
Le syndicaliste juge les effets de la libre circulation globalement positifs. «Sans elle, nous n’aurions pas eu autant de croissance depuis 2003». Reste un problème de répartition. «Depuis quelques années, tout se passe comme si la libre circulation bénéficiait avant tout aux employeurs et à quelques spéculateurs immobiliers, lance Christian Levrat. On assiste à un appauvrissement de la classe moyenne et des milieux populaires». La libre circulation n’en est pas la cause principale, mais «elle pose cette question avec une virulence nouvelle».
Mesures annoncées
Le ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, présentera prochainement un dispositif pour renforcer les mesures d’accompagnement. Premier objectif: intensifier la traque aux «faux indépendants», ces salariés que des entreprises étrangères envoient travailler en Suisse à prix cassés. Le libéral-radical envisage en outre d’obliger les firmes détachant des employés en Suisse à verser une caution, afin de faciliter l’encaissement des amendes en cas d’abus. Mais le ministre a aussi fait un pas en direction de l’UDC, en déclarant dans la presse qu’une renégociation de l’accord sur la libre circulation n’est «pas taboue».
Michaël Rodriguez dans le Courrier
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La gauche réclame des sanctions et un salaire minimum
«Lorsque nous nous sommes opposés aux bilatérales parce que nous pensions que les syndicats auraient dû négocier de meilleurs contrôles et un salaire minimum, on nous a taxés de xénophobes. Quelques années plus tard, les syndicats reprennent mot pour mot notre discours!» Salika Wenger, élue au législatif de la Ville de Genève et candidate au Conseil national (Parti du travail), a «une petite dent contre les partis de gauche et les syndicats» sur le dossier de la libre circulation.
La militante ne veut toutefois pas d’un retour à la situation antérieure. «Nous n’aurions pas la main-d’œuvre suffisante pour maintenir le niveau de vie actuel». Salika Wenger préfère se battre pour que de «vraies mesures d’accompagnement» soient enfin édictées. A Genève, les syndicats viennent de lancer une initiative visant à renforcer les contrôles.
Des Verts à la gauche radicale, en passant par les socialistes, les solutions proposées sont globalement les mêmes: davantage de contrôles, de sanctions et de normes salariales. Le Parti socialiste a fait de son soutien à l’initiative de l’Union syndicale suisse pour un salaire minimum de 4000 francs l’un des thèmes de campagne pour les élections fédérales.
Le cadre légal actuel permet à la Confédération et aux cantons d’imposer des contrats types de travail dans les secteurs dépourvus de normes salariales, qui totalisent plus de la moitié des emplois en Suisse. Mais les autorités n’en font pas assez usage, voire pas du tout dans les cantons alémaniques, accuse la gauche. En outre, il n’existe aucun système de sanction en cas d’abus.
A ce jour, seuls Genève et le Tessin ont édicté de telles règles dans des domaines comme les call center, les salons de beauté et l’économie domestique. Ce dernier secteur devrait être couvert prochainement par un contrat type fédéral. C’est déjà le cas aujourd’hui des entreprises de nettoyage.
Autre revendication: l’application du principe de responsabilité solidaire. Un maître d’ouvrage ne pourrait plus se dédouaner des abus commis par ses sous-traitants. Les agences de travail temporaire actives en Suisse depuis l’étranger sont également montrées du doigt. Selon le conseiller national (Verts/ LU) et syndicaliste Louis Schelbert, «elles ne respectent pas les salaires et les horaires réglementaires».
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