Sur la plage de Spillé, au sud-ouest de Tirana, la jeune fille au bikini suggestif peut observer, quelques mètres plus loin, la mère de famille musulmane traditionnelle, couverte de son hijab, se risquer dans l’eau, au milieu de ses enfants.
Reflet d’un pays en pleine mutation, partagé entre ses aspirations européennes et le poids des traditions, la plage de Spillé est la seule d’Albanie où les musulmans intégristes se retrouvent à proximité de ces jeunes filles si dénudées à leurs yeux. Deux mondes qui s’observent, étrangers l’un à l’autre. "Certains pensent que montrer ses fesses est un signe de civilisation et une manifestation de liberté. Et protéger son corps des regards une expression de sous-développement", s’indigne Selim, qui vient régulièrement en famille sur cette plage publique, située à moins d’une centaine de kilomètres de Tirana. "L’islam n’interdit pas à la femme de se baigner, mais à condition qu’elle se couvre de manière décente, pour se protéger des regards et plaire seulement à Dieu", renchérit Fatima, qui sort de l’eau, les plis de son hijab collant au corps. Selim et ses amis, généralement au nombre de quelques dizaines, ont tout fait pour s’isoler dans un coin à Spillé, une plage encore vierge, mais manquant d’infrastructures. L’endroit est même désigné comme "la plage des burkas" par les locaux.
Un "ghetto" pour les pieux
Mais rien n’y fait. A quatre cents mètres de là, on aperçoit toujours les "bikinis" et leurs audaces. "Dans l’islam, il est interdit, même pour les hommes, de contempler les autres femmes", déclare Ermir Gjinishi, un jeune professeur en théologie. La solution pour lui, c’est de "créer un ghetto" pour les musulmans pieux avec des "plages pour les croyantes, séparées des hommes". "Ceux qui ont de l’argent vont en Turquie ou ailleurs. Mais ici, il n’y aucune intimité ou infrastructure pour les croyantes", maugrée Hassan. Chez les "bikinis", il y a foule ce jour-là. Le maillot deux pièces, qui peut parfois être coquin, fait fureur en Albanie, un pays qui a connu de nombreux bouleversements depuis la chute du régime communiste, au début des années 90. Celui-ci lui avait imposé pendant des décennies un isolement total du reste du monde. Mais il n’est pas question d’enlever le soutien-gorge en Albanie. Comme l’explique à sa façon Ilir Mosko, un policier de Durres: "Même s’il n’y a pas de règles écrites à ce sujet, c’est interdit". Des touristes étrangères s’étaient risquées l’année dernière à franchir le pas sur une plage albanaise. La police y avait mis bon ordre, après avoir reçu des plaintes de familles. La majorité des Albanais sont musulmans, relevant de la mouvance des bektachis, réputés pour leur libéralisme. Les femmes peuvent être têtes nues et la consommation d’alcool est courante. L’islam intégriste y est limité.
Rien à cacher: ni à Dieu, ni au soleil
Chez les jeunes filles en maillot de bain deux pièces, on ne prête guère d’attention aux silhouettes noires qui s’aventurent dans les vagues. "Une femme en hijab ou en burka sortant de l’eau est aussi sexy qu’une autre en bikini", estime Ariana, une étudiante en psychologie venue à Spillé avec son copain. "Je n’ai rien à cacher, ni à Dieu, ni au soleil", ajoute cette jeune fille blonde, en rajustant la bretelle de son maillot. Si du côté des "hijabs", on se montre sévère pour les "bikinis", chez ces derniers, c’est l’indifférence qui domine. Ariana, comme beaucoup de ses amis, ne jette même plus de regards vers leurs pudiques voisins. "Hijab, burka, bikini, la pudeur est une question beaucoup trop personnelle, tranche Arta. L’important est que chacun soit libre de choisir et d’accepter l’autre sans complexe".
AFP et 24 Heures
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