L’Union européenne et les pays d’Afrique du Nord ont mis en place un partenariat pour barrer la route aux migrants du Sud en quête d’avenir. Une stratégie à haut risque, affirme Amnesty International à l’occasion de la sortie de son rapport sur la Libye. Interview.
Pour marquer leur différence sur la scène internationale, les pays européens - dont la Suisse - invoquent régulièrement les valeurs humanistes et le droit. Une référence le plus souvent écornée par des mesures prises à l’encontre des migrants venus d’Afrique et d’Asie.
Année après année, les pays de l’Union européenne (UE), tout comme la Suisse, durcissent leurs politiques à l’égard de ces ressortissants extra-européens, bâtissant, selon les défenseurs des droits de l’Homme, une «forteresse Europe».
En outre, quand les ministres européens et suisses démarchent pour leurs entreprises nationales dans ces pays, ils mettent le plus souvent la sourdine sur les droits humains dans leurs accords de libre-échange ou veillent insuffisamment au respect des clauses en la matière. L’enlèvement des hommes d’affaires Max Göldi et Rachid Hamdani a aussi été le résultat de ces inconséquences, selon Amnesty International.
Revue de détail avec Manon Schick, porte-parole de la branche suisse d’Amnesty international, à l’occasion de la sortie d’un nouveau rapport de l’ONG britannique sur la Libye, un acteur clé dans cette politique migratoire.
swissinfo.ch: En matière de non respect des droits de l’homme, la Libye est-elle au même niveau que les autres pays d’Afrique du Nord ou la situation y est-elle bien pire?
Manon Schick: Nous recensons des violations des droits humains dans l'ensemble des pays d'Afrique du Nord. La Tunisie, l'Algérie et le Maroc ont cependant aboli en pratique la peine de mort et ratifié la Convention sur la protection des réfugiés. La liberté d'expression subit toutefois de graves restrictions dans tous ces pays et la lutte contre le terrorisme est source de graves violations des droits humains, de détentions arbitraires et de procès inéquitables.
Les personnes qui critiquent les autorités font l'objet d'arrestations, de procès inéquitables et de condamnations. A des degrés divers, les pays du Maghreb ont beaucoup de peine à faire la lumière sur les graves violations des droits humains commises par le passé telles que les disparitions forcées. En bref, l'impunité est largement répandue.
swissinfo.ch: Sur le plan des migrations Sud-Nord, quelles conséquences ont ces politiques contraires aux droits humains?
M.S.: Les migrants sont harcelés partout dans ces pays et font l'objet de graves violations des droits humains. Détentions, mauvais traitements, refoulements vers leur pays d'origine voire même la mort sont monnaie courante sur le chemin qui mène vers l'Europe.
La «spécificité» libyenne est de détenir des migrants dans des camps, pour des durées illimitées, sans que l'Union européenne ne réagisse, alors que ce pays n'a même pas ratifié la Convention des réfugiés et que la Libye vient d'expulser le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
swissinfo.ch: L’Union européenne est engagée dans un partenariat avec ces pays pour contrôler, voire empêcher ces flux migratoires. Cette alliance constitue-t-elle un filet de sécurité pour le respect des droits des migrants?
M.S.: Ce partenariat se fait au mépris de la situation des droits humains qui règne sur place et favorise les violations des droits humains à l'égard des migrants qui tentent de fuir vers l'Europe. L'Europe n'intervient pas avec la rigueur nécessaire de peur de perdre ses alliés qui arrêtent largement le flux migratoire en provenance du Sud. Le coût humain de ces alliances inhumaines est énorme.
swissinfo.ch: La question migratoire pèse-t-elle plus lourd que les intérêts économiques, en particulier pétroliers?
M.S.: Les deux sont d'importance. Prenons l'Italie: elle a réussi à endiguer le flux migratoire qui déferlait sur ses côtes en passant un accord avec la Libye. Mais elle a aussi de très importants échanges commerciaux avec ce pays. Les intérêts tant économiques que migratoires font que l'Italie ferme les yeux sur la situation des droits humains en Libye.
swissinfo.ch: L’enlèvement des deux hommes d’affaires suisses par la Libye peut-il servir d’avertissement aux entreprises occidentales en affaire avec des pays qui violent gravement les droits humains ou la Libye est-elle un cas particulier?
M.S.: Cet exemple montre que l'arbitraire ne s'arrête pas aux frontières d'un pays qui en commet beaucoup et que la situation peut virer d'un jour à l'autre pour n'importe quelle personne dans un tel pays, et ceci indépendamment de sa nationalité. Avec un Etat arbitraire, toute personne peut devenir l'objet d'enjeux politiques, soit internes soit externes. Cela dit, les chances de s'en sortir sont bien plus grandes pour les personnes en provenance du Nord que pour celles du pays même ou du Sud.
swissinfo.ch: La Suisse continue d’affirmer la centralité des droits humains dans sa politique étrangère. Se distingue-t-elle de ses voisins européens?
M.S.: Comme ses voisins, la Suisse tente d'exporter le «problème» migratoire et de repousser les responsabilités vers les autres pays. Comme elle n’a pas de frontières directes avec l'Afrique du Nord, les renvois des «étranger indésirables» se font vers les autres pays qui ont adhéré aux accords de Dublin.
En agissant ainsi, la Suisse ne prend pas en compte la possibilité que ces pays renvoient des personnes persécutées. C'est de l'hypocrisie. On ne peut pas gérer les migrations mondiales en ne tenant compte que de ses intérêts nationaux.
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