L'association Appartenances-Genève publie «Clinique de l'exil», un ouvrage consacré à la prise en charge thérapeutique des réfugiés de guerre, une population particulièrement vulnérable. Propos recueillis par Olivier Chavaz pour le Courrier.
Fondée quatre ans après son aînée vaudoise, l'association Appartenances-Genève oeuvre depuis 1997 en faveur de la santé mentale des migrants. Parmi ses domaines d'activité, le traitement de requérants d'asile et de réfugiés victimes de persécutions et poussés à l'exil. Une population particulièrement vulnérable qui cumule traumatismes psychiques et somatiques. La pratique mise en place par l'équipe de psychologues et de psychiatres genevois fait l'objet d'un livre, Clinique de l'exil, chroniques d'une pratique engagée1 paru il y a quelques semaines. Entretien avec les coordinateurs de l'ouvrage, Betty Goguikian Ratcliff – enseignante-chercheuse à l'université de Genève et psychothérapeute à Appartenances – et Olivier Strasser, psychiatre responsable de l'association.
Qui sont les patients qui sont soignés dans votre clinique de l'exil?
Olivier Strasser: Ce sont pour la plupart des civils victimes de guerre, dont beaucoup ont été torturés au sens de la définition de l'ONU. Requérants d'asile, admis provisoires ou dans l'attente d'un renvoi, ils proviennent principalement des Balkans et de plusieurs pays d'Afrique, comme la Somalie et le Congo. Deux tiers de femmes et un tiers d'hommes. Depuis quelque temps, nous voyons aussi plus d'enfants de la deuxième génération. Forcés à l'exil, ils arrivent en Suisse avec leurs traumatismes et sont placés dans une situation de dépendance par rapport à l'autorité. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne se sentent pas désirés... Cela engendre une frustration énorme.
De quoi souffre majoritairement cette population?
Betty Goguikian Ratcliff: On peut dire globalement que nous traitons des cas aggravés de syndrome de stress post-traumatique. Les symptômes sont des cauchemars, des troubles du sommeil, des flashback, des problèmes de mémoire et de concentration. Physiquement, ils se plaignent très souvent de maux de tête et de dos. Une manière culturelle d'exprimer sa souffrance. Ces douleurs chroniques ne répondent pas aux traitements habituels, c'est d'ailleurs pour cela que ces personnes nous sont adressées. O.S.: Toutes ces pathologies sont très handicapantes pour reprendre une vie normale, apprendre une nouvelle langue. Comment refaire confiance à un être humain ou à une administration quand on est allé aux frontières de la mort suite à des violences d'origine intentionnelle et humaine? La conséquence est un retrait social, un isolement, y compris par rapport aux proches, ces personnes sont dans l'impossibilité de communiquer sur leurs souffrances.
Quelle est cette «pratique engagée» que vous avez développée et que vous revendiquez dans votre approche thérapeutique?
O.S: Elle se distingue de la «neutralité bienveillante» qui imprègne traditionnellement la pratique occidentale, sans jugement ni conseils. Où la véracité de ce que raconte le patient n'est pas déterminante. Mais avec des victimes de torture, par exemple, afficher cette neutralité devient cruel. C'est difficile de relativiser leur vécu! Sinon, on se coupe immédiatement de la relation. Et ces personnes le vivent comme une confirmation du rejet qu'ils ressentent en général.
Vous dites que le récit du patient acquiert un statut de témoignage.
B.G.R.: La toile de fond, ce sont des faits de guerre et des exactions de masse. Une réalité dont nous avons eu connaissance, comme tous les citoyens, par les canaux médiatiques et autres. Le récit du patient devient ainsi un témoignage. Il ne se prend pas pour une victime, il est une victime. Et moi, je dois m'indigner, aider la personne à réorganiser le monde selon des critères éthiques et moraux. Je suis de son côté afin qu'elle sorte d'une certaine confusion entre le bien et le mal. Le travail consiste aussi à établir progressivement un lien entre ce corps qui souffre et le traumatisme psychique. Mais on ne va pas reconstruire d'emblée les scènes traumatiques. Ce n'est pas envisageable. Il nous arrive même de soigner quelqu'un avec des non-dits. Par contre, on doit recontextualiser. L'exemple d'une femme violée: il s'agit de prendre en compte que l'intention de son bourreau n'est pas d'ordre personnel, mais l'expression d'une haine qu'un groupe humain voue à un autre. Il faut démonter les ressorts culturels que le bourreau a utilisés pour anéantir socialement l'adversaire.
L'interprétariat joue un rôle central. Or vous dénoncez l'absence de financement de cette prestation. Qu'en est-il?
O.S.: Chez nous, les interprètes ne sont pas uniquement là pour résoudre les problèmes de langue. Ils sont aussi des médiateurs culturels qui aident le thérapeute à remettre l'expression du patient dans son contexte, ce qui évite les malentendus et contribue à un sentiment de reconnaissance de son altérité ou de sa différence. C'est une condition essentielle pour l'accès aux soins dans des conditions équitables. B.G.R.: En théorie, la Constitution fédérale garantit la non-discrimination en raison de la langue, donc l'interprétariat communautaire. Le problème, c'est que rien ne dit qui doit payer les frais qui en découlent. Et les assureurs maladie ne veulent pas en entendre parler. Du coup, notre association s'est retrouvée dans une situation financière difficile, avec un gros déficit lié à ces dépenses. Résultat: depuis deux ans, nous ne pouvons presque plus prendre de nouveaux patients non francophones si l'institution qui les adresse ne peut assumer le financement d'un interprète. Ceci pour privilégier les traitements en cours. Mais nous espérons que la situation se débloquera au niveau politique.
Quel regard portez-vous sur la politique migratoire suisse?
B.G.R.: Comme ailleurs en Europe, la loi se durcit au fil des révisions. A travers notre pratique, nous observons l'impact délétère que ces tours de vis successifs ont sur la santé psychique des migrants. C'est la raison d'être de notre livre. L'obtention de l'asile implique une procédure juridico-administrative lourde et interminable. Lorsqu'une décision de renvoi a été prise, ces familles vivent des fois durant des mois avec la menace d'être renvoyé à tout moment. Et même si l'issue est favorable avec l'obtention du statut de réfugié, cette attente pleine d'incertitudes et de contraintes administratives entame les chances de reconstruction et d'intégration. O.S.: L'une des caractéristiques de cette procédure est aussi qu'il faut toujours avancer de bonnes raisons médicales pour espérer obtenir quelque chose. Les gens doivent montrer qu'ils sont malades s'ils veulent rester en Suisse. D'un côté, on crée toutes les conditions pour empêcher leur intégration et, de l'autre, on les traite de profiteurs parce que les soigner coûte cher à la société. Cette «double contrainte» peut rendre fou ou peut être extrêmement déstabilisante. I
Note : 1Collection médecine société, Georg, 2009.
Table ronde, jeudi 4 mars, 18 h 30, Uni-Mail salle MS130, «Précarité, exclusion sociale et santé mentale des réfugiés et requérants d'asile: Comment rendre l'autre fou?». Avec Thierry Baubet, psychiatre (Paris); Claudio Bolzman, sociologue et professeur HETS (Genève), Yves Brutsch, juriste (Genève), Betty Goguikian Ratcliff, Patrice Guex, psychiatre, (Lausanne), Jean-Claude Métraux pédopsychiatre et cofondateur d'Appartenances (Lausanne).
mardi 2 mars 2010
Le durcissement des lois affecte la santé psychique des migrants
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