mercredi 17 septembre 2008

La Forteresse par jean-Louis Kuffer et Thierry Jobin

© ODILE MEYLAN | Après "Exit", Fernand Melgar réussit une nouvelle fois à traiter d’un thème délicat, les requérants d’asile, avec une justesse jubilatoire. La forteresse, un film à prendre!

jEAN-LOUIS KUFFER | 17.09.2008 | 00:02

«Ce qui est terrible, c’est que nous ne savons pas d’où ils viennent et qu’ils ne savent pas où ils vont.» Ces mots, confiés à Fernand Melgar par l’une des collaboratrices du Centre d’enregistrement de Vallorbe, illustrent bien la réalité de La forteresse. Le fait de «ne pas savoir» est d’ailleurs au cœur de la question de l’asile qui a permis, avant les votations de 2006, à la propagande de développer deux portraits types du requérant: l’Africain dealer et le Rom chapardeur. La réalité, on s’en doute, est plus complexe. Fernand Melgar, fils d’immigrés espagnols, a vécu le résultat des votations sur l’asile comme une trahison, alors qu’il venait d’obtenir sa propre naturalisation. Autant dire qu’il était personnellement impliqué quand il a pris son bâton de pèlerin pour répondre à cette question: la Suisse est-elle xénophobe? «Tout le monde a tenté de me dissuader de faire un film sur l’asile, commente-t-il aujourd’hui. Mais lorsque j’ai expliqué à Philippe Hengy, l’un des responsables du centre de Vallorbe, que j’entendais y passer deux mois, soit la durée la plus longue d’un séjour de requérant, mon projet a commencé de l’intéresser…»

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Lire aussi l'avis de Thierry Jobin dans Le Temps

Fernand Melgar signe un chef-d'œuvre au souffle humain.
Thierry Jobin
La Forteresse est le premier documentaire consacré à un centre suisse pour requérants d'asile, celui de Vallorbe. Cet argument pourrait, à lui seul, justifier l'importance du film et la nécessité de le voir. Mais il y a autre chose: ce portrait de groupe capté sur deux mois est surtout le meilleur film du Lausannois Fernand Melgar. Il est l'aboutissement de vingt ans de tours et détours, du début des années 80, où il contribua à la fondation de l'underground Cabaret Orwell de Lausanne, jusqu'au récent et courageux Exit - Le droit de mourir, en passant par le bricolage d'essais expérimentaux dès qu'une caméra lui est tombée entre les mains. De la révolution culturelle Lôzane Bouge à La Forteresse, Fernand Melgar, 47 ans cette année, a suivi un chemin vers l'épure. Parcours logique des grands artistes, mais qui a pris chez lui une tournure bouleversante. La Forteresse en est la preuve éclatante: l'épure, chez Melgar, a autant trait à la forme, notamment grâce à sa complicité exceptionnelle avec Camille Cottagnoud qui signe les images, qu'à sa manière d'observer l'humain.

D'abord, La Forteresse trouve la juste distance entre le sujet, l'œil du cinéaste et, grâce à la modestie et à la justesse de ce dernier, le regard du spectateur: le film ne juge pas davantage son sujet qu'il ne joue au plus malin avec le public. En plus de cet équilibre parfait, générateur de troubles et d'émotions devant les témoignages, sincères ou éhontés, des réfugiés comme de leurs gardiens, Melgar réussit à faire respirer son film au rythme des poumons humains: les séquences de tension n'étouffent jamais le propos.

Sans démagogie

Un mouvement de balancier invisible - le talent de Melgar et rien d'autre, sans doute - apporte toujours un soulagement, un sourire, un sentiment de tendresse lorsque l'orage menace dans le centre de tri. Ici, le retour au bercail de requérants ivres ou le récit d'atrocités commises en Afrique ou dans les Balkans. Là, un moment de prière exubérant, la naissance d'un enfant ou une partie de football dans le froid. Inspirer. Expirer. Espérer, à la manière Melgar, sans démagogie, sans apitoiement, à hauteur d'homme.

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