lundi 23 juin 2008

La "directive retour" fabrique les clandestins

Courrier international - 20 juin 2008



La "directive retour" a été adoptée le 18 juin au Parlement européen. Rui Tavares, chroniqueur du quotidien portugais Público, déplore les atteintes aux droits de l'homme qui découlent de ce renforcement de la répression en matière d'immigration.

Chaque année, nous célébrons le Jour du Portugal, de Camões et des Communautés portugaises [anciennement Jour de la race sous la dictature ; le 10 juin, jour de la mort du grand poète portugais Luís de Camões, est la fête nationale du pays] et nous avons une pensée pour les millions de Portugais qui sont partis du pays, la plupart d'entre eux de façon clandestine et sans papiers. Ils s'en sont allés en quête d'une vie meilleure ; ils ont contribué au progrès des pays où ils se sont installés et ont aidé le nôtre grâce à l'argent rapatrié chez eux. Dans l'Europe d'aujourd'hui, ils seraient susceptibles de devenir des "criminels".

Avec la directive du retour, votée au Parlement européen, ces immigrés, leurs familles et même des mineurs seuls pourraient être détenus jusqu'à dix-huit mois sans jugement. Comme il convient pour ce genre de choses, le langage utilisé est orwellien. Les "centres d'accueil" sont, en vérité, des centres d'expulsion collective. Et la directive n'est même pas "du retour", étant donné qu'elle ne garantit pas le rapatriement des immigrés et qu'elle prévoit qu'ils peuvent être livrés à des pays tiers sans évaluer les risques qui en découlent.

L'Europe d'aujourd'hui, avec les leaders actuels, n'a même pas le souci de respecter les principes de base des droits de l'homme ni de réguler l'immigration. On peut défendre l'idée qu'il y ait plus ou moins d'immigration, mais nous devrions tous défendre le fait que l'on se penche sur le sort des immigrés par voie légale ; qu'une réponse leur soit donnée rapidement ; qu'ils aient droit à un recours ; que ceux qui font appel à une main-d'œuvre illégale soient punis et que des êtres humains soient traités, au minimum, en accord avec les droits de l'homme.

Mais l'Europe d'aujourd'hui prétend harmoniser l'expulsion avant d'harmoniser les conditions de régularisation. Au XVIIe siècle, le Padre António Vieira [célèbre jésuite portugais – "l'empereur de la langue portugaise", selon Fernando Pessoa – qui milita en faveur du droit des peuples amérindiens] affirma que l'Inquisition [instituée en 1536] était une "fabrique de Juifs" qui servait uniquement à alimenter le pouvoir des inquisiteurs, affaiblissant par là même le pays. Pour satisfaire l'opportunisme électoral de Sarkozy et de Berlusconi, nous rendons plus difficile la régularisation des immigrés pour ensuite pouvoir les pourchasser. Cette directive fera de l'Union européenne une fabrique de clandestins.

Rui Tavares

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