Marc SEMO
La crise des représente le nœud paroxystique des maux d’une société italienne, notamment dans un Sud, paralysé par l’incurie administrative, rongée par la corruption, et gangrenée par la criminalité organisée sur fond de xénophobie croissante anti-immigrés. Défrayant la chronique depuis plus d’une décennie, cette crise est d’abord un révélateur. Elle illustre la faillite de la solidarité nationale et l’égoïsme des riches régions du Nord qui refusent de traiter les dizaines de milliers de tonnes de déchets de la Campanie (région autour de Naples). Le fossé entre les deux Italies est en train de se creuser un peu plus dans les têtes attisées par les tirades anti-terrone («bouseux» du sud) de la Ligue du Nord devenue l’incontournable alliée de Silvio Berlusconi.
Condamnation. L’impuissance de Rome dans cette tragédie révèle aussi les limites de l’engagement européen d’un pays qui, longtemps plutôt bon élève de l’UE, se retrouve mis en cause pour ses déficits publics, mais aussi pour des interventions faussant les règles de la concurrence comme les aides accordées à la compagnie aérienne nationale en déroute Alitalia.
La Commission européenne a ouvert début mai une nouvelle procédure devant la Cour européenne de justice de Luxembourg afin de contraindre Rome à traiter ces déchets. Un mois plus tôt l’Italie avait déjà été condamnée par cette même cour pour les mêmes raisons et le commissaire à l’Environnement Stavros Dimas soulignait que «la mise en cause de la responsabilité du crime organisé ne doit pas masquer la cause la plus directe : l’absence d’action et de volonté politique». Cette crise perdure depuis quatorze ans. Les promesses des gouvernements qui se sont succédé - y compris ceux de Silvio Berlusconi - sont toujours restées lettres mortes.
La question du traitement des ordures ménagères représente certes partout un casse-tête pour les élus locaux car une population n’accueille jamais de gaîté de cœur l’installation d’une décharge ou d’un incinérateur. Mais à cela s’ajoutent les dysfonctionnements spécifiques de la machine étatique italienne, notamment dans le Sud.
Inefficacité et gabegie. «Si les vingt administrations régionales de la péninsule fonctionnaient toutes comme les deux ou trois qui marchent le mieux - la Lombardie ou certaines régions "rouges" comme l’Emilie-Romagne - le pays économiserait chaque année quelque 90 milliards d’euros, soit une somme équivalente à trois fois le déficit public d’une année», relève le sociologue Luca Ricolfi soulignant que «des zones comme la Campanie, la Calabre et la Sicile où sévissent les diverses mafias, dépensent par exemple 50 % de plus que les autres régions du Sud, à cause des travaux publics inutiles ou surévalués et à cause d’un nombre d’employés publics trois ou quatre fois plus élevé qu’ailleurs».
Le cas de la Campanie incarne à cet égard une tragique caricature. A cause de la quantité d’ordures accumulée, mais aussi en raison du poids de la Camorra, la mafia napolitaine .«La Camorra intervient depuis toujours sur toutes les sources de profits dans tous les interstices de la société. Et son omniprésence dans l’affaire des déchets explique aussi que la population descende dans la rue pour empêcher la construction de décharges ou d’incinérateurs allant contre les intérêts de la Camorra qui gagne de l’argent avec ses propres décharges sauvages», expliquait récemment l’anthropologue napolitain Marino Niola. Les mafieux napolitains «ces samouraïs de l’ultralibéralisme sauvage» comme les appelle le journaliste Roberto Saviano auteur de Gomorra, engrangent d’immenses profits avec les trafics de déchets, en premier lieu ceux hautement toxiques qui arrivent de tout le pays et sont enfouis clandestinement dans des zones qu’ils contrôlent sans partage.
Xénophobie. Mais les émeutes napolitaines montrent aussi une inquiétante montée de la xénophobie. En fin de semaine des manifestants d’une banlieue de Naples, ont brûlé un camp de Roms après en avoir chassé les occupants. Une jeune Tzigane avait été arrêtée quelques jours plus tôt, accusée d’avoir pénétré dans un appartement pour tenter de voler un bébé. «Une attaque où l’on retrouve incontestablement la patte de la Camorra qui veut garantir son pouvoir sur le territoire», soulignent les autorités locales. Commentant ces agressions Umberto Bossi déclara que «le peuple est en train de faire ce que la classe politique ne fait pas». Une récente enquête d’opinion nationale relevait que quelque 68 % des Italiens interrogés estimaient nécessaire de raser ces campements voire d’expulser les Roms, quelque 160 000 personnes mais dont une moitié avec passeport italien. Matteo Pecoraro, directeur de l’organisation de défense des droits de l’homme Every One explique : «Cette hostilité est le résultat d’un langage enflammé et d’ un climat général créé par ce nouveau gouvernement mais aussi par le précédent.»
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